Article rédigé par Maître Jean-Pierre VERGAUWE et publié en deux parties dans les numéros de mars et avril 2009 du Journal de l'Architecte

Il arrive que le maître de l’ouvrage décide de mettre fin anticipativement à la mission qu’il a confiée à son architecte et de résilier le contrat d’architecture en confiant à un autre architecte la poursuite de la mission.

Les circonstances qui entourent cette décision et qui la justifie le cas échéant sont multiples et pourront influencer les conséquences qui s’attachent à la succession d’architecte.

Le contrat d’architecture peut prévoir un phasage de la mission architecturale, ce qui permet au maître de l’ouvrage de ne pas poursuivre la mission à l’expiration d’une phase et même de confier la poursuite de la mission à un autre architecte.

Les conditions de ce phasage et de cette succession d’architecte doivent évidemment être clairement identifiées et précisées dans le contrat d’architecture.

Le maître de l’ouvrage peut également décider souverainement et unilatéralement de mettre fin à la mission architecturale sans devoir se justifier ; cette situation est généralement rencontrée dans le contrat d’architecture qui prévoit dans ce cas le paiement, par le maître de l’ouvrage, d’une indemnité de résiliation (l’ancienne norme déontologique n° 2 prévoyait une indemnité de 50% des honoraires pour les prestations non accomplies à la date de la résiliation).

L’article 1794 du Code civil prévoit d’ailleurs que « le maître de l’ouvrage peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l’ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise ».

Enfin, la résiliation du contrat d’architecture et la succession d’architecte qui s’ensuit peuvent résulter d’une décision du maître de l’ouvrage fondée sur des fautes et négligences commises par l’architecte succédé.

Diverses questions sont liées à la succession d’architecte ; nous examinerons dans  cet article-ci les problèmes liés à la déontologie et aux honoraires des architectes succédé et successeur.

Dans un prochain article, nous examinerons les questions liées aux droits d’auteur, à la transmission du dossier et aux responsabilités.


1°       Les prescriptions déontologiques

 

L’article 26 du règlement de déontologie prévoit que dans le cas où pour quelque motif un architecte est appelé à succéder à un confrère, il est tenu de respecter certaines obligations.

a. Il doit tout d’abord informer le confrère succédé par écrit ou, en cas de décès de celui-ci, ses héritiers par lettre recommandée.

L’article 26 ajoute que le successeur doit également « s’enquérir des inconvénients qui pourraient en résulter » ; cette formule est davantage une clause de style et de toute manière les inconvénients éventuellement rencontrés par l’architecte succédé ne sauraient faire obstacle à la succession d’architecte décidée par le maître de l’ouvrage.

b. L’architecte doit en outre préalablement informer son Conseil Provincial en faisant connaître l’étendue de sa mission.

c. L’article 26 confère enfin au Conseil Provincial certains pouvoirs d’intervention qui sont particulièrement exorbitants, en effet :

  • L’architecte successeur ne peut agir sans accord préalable de son Conseil Provincial avant de s’être assuré de ce que les honoraires dus à son prédécesseur ont été réglés.
  • En cas de différend ou d’urgence particulière le Conseil Provincial peut accorder au successeur l’autorisation d’accomplir tout ou partie des actes de la mission proposée.
  • En cas de litige sur le taux des honoraires le Conseil Provincial peut faire consigner une somme jusqu’à ce qu’il ait statué à cet égard.

Ces prérogatives sont très discutables et du reste, compte tenu des

circonstances, il est possible d’y déroger en invitant le Conseil Provincial à confirmer immédiatement son accord pour la reprise de mission par l’architecte successeur nonobstant le non paiement des honoraires de l’architecte succédé.

Le principe de la consignation doit en tous cas être rejeté.

En cas de contestation, fondée ou non, des honoraires de l’architecte succédé, il convient que ce dernier saisisse les tribunaux qui, le cas échéant, pourront solliciter l’avis du Conseil Provincial.


2°       Les honoraires

 

Les honoraires promérités par l’architecte succédé dépendent des motifs qui ont incité le maitre le l’ouvrage à changer d’architecte en cours de mission ; ces motifs ont été évoqués ci-avant.

En cas de faute de l’architecte succédé, ce dernier n’aura droit qu’aux honoraires pour les prestations réellement accomplies, il ne pourra prétendre en principe à aucune indemnité de résiliation puisque celle-ci est fondée sur une faute commise par l’architecte.

Par contre si la succession d’architecte résulte d’une décision unilatérale du maître de l’ouvrage sans qu’aucune faute ne puisse être reprochée à l’architecte succédé, ce dernier pourra prétendre à une indemnité de résiliation contractuelle ou établie conformément à l’article 1794 du Code civil.

Il conviendra, en tous cas, d’établir un décompte en fonction des prestations accomplies par l’architecte succédé et de celles qui devront être encore effectuées par l’architecte successeur.

Ce dernier pourra réclamer des honoraires supplémentaires pour reprise et réétude du dossier compte tenu, notamment, de la responsabilité de l’architecte successeur qui sera examinée dans le prochain article.

Si la résiliation et la succession d’architecte est imputable à une faute de l’architecte succédé, celui-ci pourrait être condamné à indemniser le maître de l’ouvrage de cette dépense supplémentaire.


 

A présent, nous examinerons les questions qui concernent les droits d’auteurs, la transmission du dossier et les responsabilités.

I.            Les droits d’auteur

 

Rappelons que deux conditions ouvrent l’accès aux droits d’auteurs : l’originalité et la mise en forme.

Naturellement, l’architecte jouit de la même protection que les autres auteurs ; il est donc titulaire des droits patrimoniaux et moraux qui s’attachent à sa création.

La succession d’architecte pose des problèmes délicats en ce qui concerne la titularité des droits d’auteurs.

M. PLESSERS rappelle que « l’architecte qui succède à son confrère ne peut utiliser les plans de ce dernier que moyennant son autorisation préalable, mais il sera par contre seul titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre achevée, à tout le moins en principe (« L’architecte est-il titulaire de droits d’auteur ? », IRDI, 1997, p. 170).

Cette affirmation nous paraît devoir être nuancée.

En effet, dès lors que le 1er architecte a été totalement honoré pour ses prestations et éventuellement indemnisé du chef d’une résiliation anticipée, il confère automatiquement au maître de l’ouvrage le droit d’utiliser ses plans et sa conception pour poursuivre et achever le projet.

C’est ici que ce se posera la question, à plusieurs reprises débattue, de savoir si et dans quelles mesures le maître de l’ouvrage peut disposer à son gré de la conception architecturale.

Cette question est fréquemment soulevée dans un autre contexte, à savoir lorsque le maître de l’ouvrage souhaite modifier et transformer, voire détruire une œuvre architecturale.

La jurisprudence, en règle générale, privilégie le droit de propriété sur le droit d’auteur ; même si le maître de l’ouvrage habite une œuvre qui mérite respect et protection, cela ne peut nuire à ses droits fondamentaux, notamment d’adapter la construction à ses besoins évolutifs.

L’architecte a le droit de faire supprimer toute référence à son nom s’il considère que la transformation du projet de la construction est une mutilation de son œuvre qui la dénature et vis-à-vis de laquelle il ne souhaite plus conserver de paternité.

La question de la titularité du droit d’auteur mérite également d’être examinée lorsque l’architecte succédant intervient à un moment où la conception est, en principe, déjà finalisée (par exemple lorsque le permis d’urbanisme a été accordé et que le projet se trouve en phase d’exécution).

On peut admettre, tant dans l’intérêt de l’architecte succédé que dans celui du succédant, qu’il soit confirmé que la paternité de l’œuvre appartient exclusivement au premier et que le second qui contrôlera l’exécution des travaux n’a pas vraiment l’intention de copartager cette paternité, fût-ce parce que la conception originaire ne correspond pas à ses idées personnelles. Dans ce cas, le second architecte précisera qu’il n’est que l’architecte d’exécution, chargé du contrôle des travaux et de l’assistance aux opérations de réception.


 

II.           La transmission du dossier

 

Quelles que soient les raisons pour lesquelles un architecte est amené à mettre fin anticipativement à sa mission, il doit impérativement communiquer sans retard le dossier, soit au maître de l’ouvrage, soit à l’architecte qui lui succède.

Toute rétention de dossier et de pièces entraînent la responsabilité de l’architecte.

Cependant, cette transmission doit s’opérer avec prudence. Il convient tout d’abord de dresser un inventaire précis des pièces et documents qui sont communiqués.

Il faut ensuite veiller à une datation précise et incontestable des documents communiqués et, en particulier, des plans, a fortiori lorsque ceux-ci sont établis sur un support informatique.

La date certaine des documents et plans protègent en effet l’architecte succédé en ce qu’elle évite que sa responsabilité ne soit mise en cause indûment pour des faits ou actes postérieurs à la fin de sa mission.


III.         Les responsabilités

 

La succession d’architecte entraîne, inévitablement, un partage de responsabilités entre l’architecte succédé et son confrère successeur.

L’architecte succédé veillera, comme indiqué ci-avant, à faire préciser contradictoirement et sans ambiguïté, la date exacte de la fin de sa mission, de façon à ce qu’il ne puisse pas être rendu responsable du projet et de son exécution après qu’il ait été mis fin à sa mission.

L’architecte succédé conserve bien entendu l’entière responsabilité des prestations et actes qu’il a accomplis jusqu’à la résiliation du contrat.

Il veillera, le cas échéant, à faire préciser le point de départ de sa responsabilité décennale.

Quant à l’architecte successeur, sa situation pourra parfois être délicate dans la mesure où il est amené à reprendre et assumer la conception de son prédécesseur.

La situation est encore plus sensible lorsque le projet a déjà reçu un commencement d’exécution et que le chantier est en cours.

L’architecte successeur fera établir un état des lieux contradictoire ; il sera coresponsable de la conception dans la mesure où il l’avalise et la reprend sans protestation ni réserve.

Le partage des responsabilités demeure en ce cas une affaire délicate.

En ce qui concerne les travaux exécutés, l’architecte dressera l’état des lieux avant toute entame de sa mission ; il pourrait être rendu responsable des vices apparents, qu’il n’aurait pas décelés, mais ne pourra être raisonnablement mis en cause pour des vices cachés qui ne pouvaient être décelés à la suite d’un examen normalement prudent et diligent.

Ces précisions figureront dans le contrat d’architecture que l’architecte successeur signera avec le maître de l’ouvrage.

 

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