Article publié par Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue Architrave n° 216 de décembre 2023

  1. RAPPEL DES PRINCIPES

Le statut de l’entrepreneur

A. L’accès à la profession

Sur le plan administratif, l’entrepreneur doit satisfaire à des conditions précises concernant notamment l’accès à la profession  outre d’autres conditions dont il sera question ci-après.

La matière de l’accès à la profession a été régionalisée (article 6 §1, VI, 6ème de la loi spéciale des réformes institutionnelles).

En Région Flamande le décret du 18 mai 2018 abroge les dispositions légales relatives aux connaissances de base de la gestion d’entreprise.

L’Arrêté du Gouvernement Flamand du 19 octobre 2018 abroge l’Arrêté Royal du 29 janvier 2007 qui était relatif à la capacité professionnelle pour l’exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l’électrotechnique ainsi que de l’entreprise générale.

Dès lors en Région Flamande l’exercice de l’activité de construction n’est plus soumis à la réglementation Fédérale relative à l’accès à la profession des métiers de la construction.

En Région Wallonne cette législation est toujours en vigueur.

En Région Bruxelloise la question est un peu plus complexe.

Le 17 mars 2023 le Gouvernement Bruxellois a approuvé un avant-projet d’ordonnance qui simplifie les règles pour accéder à certaines profession dans la capitale.

Cette ordonnance vise à supprimer l’obligation de prouver les connaissances de base en matière de gestion d’entreprise afin d’encourager l’entreprenariat en Région Bruxelloise et, par conséquent, de s’aligner sur la législation régionale flamande précitée.

L’entrée en vigueur de cette réglementation est prévue au cours du premier semestre 2024.

La législation actuelle reste donc en vigueur.

B. L’inscription à la BCE

Toute entreprise devra toujours s’inscrire auprès de la Banque Carrefour des Entreprises.

Cf loi du 10/2/1998  et A.R. 27/1/2007

Par un arrêt du 6 septembre 2018 (Mons, 6 septembre 2018, inédit, RG n° 2017/RG/625), la Cour d’appel de Mons a distingué la sanction du défaut d’accès à la profession de celle du défaut d’inscription à la BCE.

Suivant cet arrêt l’obligation de disposer des accès à la profession, généralement considéré comme relevant de l’ordre public, doit être distinguée de l’obligation d’inscription à la BCE qui selon la Cour d’appel de Mons n’en relève pas.

C. L’enregistrement

Cette obligation a disparu depuis le 1/9/2012  ( cf. A.R. 3/8/2012)

Cependant, sans entrer ici dans le détail, l’obligation de retenue et la responsabilité solidaire pour les dettes fiscales et sociales de l’entrepreneur est maintenue.

Les obligations mises à charge du maître de l ‘ouvrage ne s’appliquent pas aux personnes physiques qui font exécuter des travaux à des fins strictement privées. (cf  B.Kohl le contrat d’entreprise, p.876).

 

D.  L’agréation

Il s’agit des conditions d’accès des entrepreneurs aux marchés publics ( cf loi 20/3/1991).

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On consultera l’intéressant guide d’aide au contrôle des capacités entrepreneuriales édité par le Collège des Experts Architectes de Belgique.

La responsabilité de l’architecte –  rappel de quelques principes

A. La responsabilité contractuelle de l’architecte

La responsabilité contractuelle de l’architecte s’apprécie par référence au contrat d’architecte qui définit notamment sa mission ainsi que les obligations respectives des parties (l’architecte et le maître de l’ouvrage) et leurs responsabilités.

C’est donc à la lumière de ce contrat, comme on le verra ci-après, qu’il convient d’apprécier l’engagement de l’architecte concernant le statut de l’entrepreneur et en particulier l’accès à la profession.

B. L’architecte est débiteur d’une obligation de moyens

Cela signifie qu’i doit mettre en œuvre les diligences et devoirs qu’on est en droit d’attendre d’un professionnel « prudent et raisonnable » (terminologie du nouveau Livre 5 du Code civil qui remplace le terme ancestral de « bon père de famille »).

En principe et sauf exception l’architecte n’est donc pas tenu d’une obligation de résultat.

La conséquence est capitale sur le plan de la preuve : le créancier d’une obligation de résultat peut se contenter de démontrer que le résultat convenu n’est pas atteint pour mettre en cause la responsabilité de son débiteur.

Par contre le créancier d’une obligation de moyens doit rapporter la triple preuve d’un dommage, d’une faute et du lien causal entre la faute et le dommage.

C. Mission d’ordre public

L’architecte accomplit une mission d’ordre public, consacrée par la loi du 20/2/1939 qui lui confère un titre légal et un monopole d’exercice de la profession.

Cette mission, brièvement décrite à l’article 4 de la loi, comprend la conception et le contrôle de l’exécution des travaux pour lesquels une autorisation de bâtir est requise.

Comme nous le verrons ci-après, la jurisprudence rattache le devoir de conseil à cette mission légale d’ordre public.

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  1. OBLIGATIONS DE L’ARCHITECTE  

A. Observations préalables

On limitera cet article à l’examen des obligations de l’architecte concernant le statut de l’entrepreneur et en particulier de l’accès à la profession.

a) On mentionnera que cet accès n’est pas la seule question qui doit intéresser le maître de l’ouvrage dans le contexte des opérations de soumission et d’adjudication.

Il convient également d’être attentif à la situation financière de l’entrepreneur, ses obligations fiscales et sociales, et, d’une façon générale, sa capacité réelle (et pas seulement théorique comme l’atteste la BCE) d’entreprendre et de finaliser les travaux qui lui seront confiés dans le respect du délai et du budget.

b) D’autre part les obligations de l’architecte ne s’arrêtent pas à la période préalable à la signature du contrat d’entreprise mais elle s’étend à toute la période de la construction.

Les petites entreprises de travaux sont souvent fragiles ; de mauvaises conditions économiques – même passagères – peuvent entrainer l’entreprise à la carence et à la faillite.

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B. Quelles sont les investigations qui doivent être prudemment et raisonnement menées ?

On mentionnera à titre exemplatif :

  • L’accès à la profession pour les PME révélé par la BCE,
  • L’analyse bilantaire qui donne une indication intéressante et fiable mais pas toujours nécessairement exhaustive mais la situation économique et financière de l’entrepreneur,
  • La situation fiscale et sociale(ONSS).
  • La capacité réelle de l’entrepreneur qui peut être découverte par la référence à de précédents chantiers accomplis à la satisfaction des maître de l’ouvrage, mais aussi par la structure de l’entreprise (nombre d’ouvriers, présence d’un chef de chantier compétent, relation avec les sous-traitants et les fournisseurs, etc…).
  • L’assurance obligatoire de l’entrepreneur.

Depuis le 20 octobre 2023 il est possible de consulter JUSTBAN (Registre Central des Interdictions de gérer) via just-on web (portail numérique de la justice) qui renseigne toutes les personnes et les entrepreneurs frappés d’une interdiction de gérer imposée par le Tribunal et qui ne peuvent donc plus exercer de fonction de direction dans une entreprise durant une certaine période).

Ceci devrait mettre fin à cette situation déplorable dénoncée depuis plusieurs années qui permet à des entrepreneurs peu scrupuleux dans le domaine de la construction en particulier de continuer leur profession malgré plusieurs faillites frauduleuses.

Le 27 avril 2023 le Parlement a approuvé le projet de loi du Ministre de la Justice relatif à la création d’un registre Central des interdictions de gérer.

Il s’agit donc d’une liste noire d’entrepreneurs  non autorisés à exercer une fonction de direction dans une entreprise (fonction d’administrateur, gérant, représentant permanent, délégué à la gestion journalière, membre du comité ou conseil de direction ou liquidateur).

Les citoyens belges peuvent s’y connecter facilement via leur EID ou via ITSME.

JUSTBAN est intégré à la plateforme européenne BRIS.

Dans une première phase seules seront publiées les interdictions de gérer en vigueur prononcées en Belgique sur le plan pénal (exemple : escroquerie, faux en écriture ou détournement de fonds).

Dans une deuxième phase une interdiction de gérer liée à une décision civile sera également ajoutée (par exemple dans le cadre d’une mauvaise gestion à l’approche d’une faillite).

Cette phase est prévue pour le printemps 2024.

On citera un arrêt de la Cour d’appel de Mons (7ème chambre, 11 février 2002, JLMB 03/539) qui considère que l’architecte remplit son devoir de conseil relativement au choix de l’entrepreneur lorsqu’il a mis en garde les maîtres de l’ouvrage en attirant leur attention sur le fait que le projet envisagé constitue, pour l’entrepreneur, son premier grand travail.

« En faisant fi de cette mise en garde motivée, les maîtres de l’ouvrage ont pris le risque du choix de l’entrepreneur et il est ainsi démontré que l’architecte n’a pas manqué à son devoir de conseil dans le choix de l’entrepreneur » (cité par B LOUVEAUX, jurisprudence commentée Droit de la construction, JLMB 2006/38, page 1166).

On s’aperçoit immédiatement que la simple investigation concernant l’accès à la profession n’est pas suffisante pour rassurer le maître de l’ouvrage.

B. LOUVEAUX (op. cit. page 1667) rapporte la décision du Tribunal de Bruxelles, 16ème chambre, 17 octobre 2002, JLMB 02/1159 qui statue comme suit :

« En supposant même, ce qui n’est pas plus démontré, que l’architecte ait été surpris par la signature du contrat d’entreprise, il avait encore la possibilité et l’obligation, avant le début du chantier de vérifier l’enregistrement de cet entrepreneur, pour éclairer utilement le maître de l’ouvrage sur les lourdes conséquences financières éventuelles de leur choix.

 Il apparait en outre que les factures de l’entrepreneur, dont l’architecte devait avoir connaissance pour exécuter correctement sa mission de contrôle, ne comporterait aucune indication d’enregistrement, ce qui aurait dû également attirer son attention… ».

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C. Quelles sont les obligations de l’architecte ?

Comme on l’a rappelé les obligations sont de nature contractuelle à l’égard du maître de l’ouvrage, ce qui signifie que ce sera par référence au contrat de l’architecte qu’il convient de définir les obligations de l’architecte et les conséquences sur sa responsabilité.

1°)  Traditionnellement la doctrine et la jurisprudence rattachent l’obligation de l’architecte de vérification du statut de l’entrepreneur à son devoir de conseil.

Le devoir de conseil de l’architecte puise son fondement juridique dans quatre sources :

1/ La loi du 20/2/1939

A vrai dire, cette loi, rappelée ci-avant, ne mentionne pas expressément le devoir de conseil comme faisant partie de la mission architecturale.

Cependant, comme on le signalera ci-après , la jurisprudence, en particulier de la Cour de cassation, rattache cette mission à la loi  du 20/2/1939 et considère dès lors que cette mission est d’ordre public

2/ Le règlement déontologique des architectes :

Le règlement  fournit à cet égard certaines recommandations ; on lira en particulier les articles 7, 17, 20, 22 et 23.

3/  La jurisprudence

A plusieurs reprises la Cour de Cassation a confirmé le devoir de conseil de l’architecte et d’assistance au maître de l’ouvrage.

Ce devoir est rattaché à l’article 4 de la loi du 20 février 1939.

L’arrêt du 16 janvier 2012 (RGAR, 2012, 14867) en conclut :

« Il en résulte que le devoir d’assister et de conseiller le maître de l’ouvrage oblige notamment l’architecte à informer celui-ci de la réglementation relative à l’accès à la profession et des conséquences qui peuvent en résulter.

 Ces dispositions sont d’ordre public, en sorte qu’il ne peut y être dérogé par le contrat d’architecture ».

On mentionnera également les arrêts de la Cour de Cassation du 9 juin 1997 et du 20 mai 2021 (R.G. n° C.19.0399 F) : « Le devoir de conseil et d’assistance de l’architecte l’oblige à informer le maître de l’ouvrage de la règlementation relative à l’accès à la profession et des conséquences qui peuvent en résulter, et à vérifier l’accès à la profession de l’entrepreneur lors de la conclusion du contrat d’entreprise ».

4/ Le devoir de conseil résulte également de la fonction complétive du principe d’exécution de bonne foi des obligations et des contrats (art.1134, al.3 de l’ancien code civil , art.5.73 du nouveau code civil et art. 1135 de l’ancien code civil.

2°) Le devoir de conseil anime la mission de l’architecte du début à la fin de l’exécution du contrat et même au préalable dans le cadre des pourparlers précédent la conclusion du contrat (cf. à cet égard articles 5.16 et 5.17 du nouveau Livre 5 du Code civil).

3°) Le conseil s’étend à toutes les questions qui intéressent l’exécution correcte de la construction : soit le statut de l’entrepreneur, mais également contingences administratives et urbanistiques, aspects juridiques (notamment l’examen du contrat d’entreprise, l’application éventuelle de la loi Breyne, normes et servitudes),  les relations de voisinage, le choix des différents intervenants (ingénieurs, Bureaux d’études, coordinateur sécurité santé, PEB, etc…), choix des matériaux, primes à la construction,  etc…

On soulignera cependant que l’architecte n’est pas un juriste.

A titre d’exemple, il ne lui appartient pas de vérifier les titres de propriété de son client ( Bruxelles, 26 octobre  1973, Entr. et Droit, 1974 p.231)

4°) Trois situations permettent d’apprécier l’obligation de conseil qui pèse sur l’architecte :

  • soit l’architecte de par ses connaissances personnelles et ses compétences est en mesure de résoudre le problème et doit en informer le client,
  • soit l’architecte quoiqu’ayant décelé la question ne peut la résoudre et il doit à ce moment-là conseiller le maître de l’ouvrage de consulter un spécialiste.
  • Soit enfin, en raison de ses connaissances et de son expérience, l’architecte n’est pas en mesure de déceler le problème ; dans ce cas, l’architecte ne peut être rendu responsable d’un défaut de conseil.

(cf I.Ekierman « Le devoir de conseil de l’architecte dans ses aspects juridiques » Entr. et dr, 1996,p.271)

5°)  On se réfèrera à  l’arrêt célèbre du 3 mars 1978 de la Cour de cassation concernant la délégation de mission.

L’enseignement de cet arrêt, depuis lors constamment rappelé, autorise l’architecte à déléguer une partie de sa mission pour des tâches pour lesquelles il n’a ni formation ni compétence ( exemple ; la stabilité ou les techniques spéciales )

Mais l’architecte conserve une mission et une responsabilité «  résiduelles», à savoir que tout ce qui n’est pas expressément délégué vers des spécialistes demeure inclus dans la mission architecturale.

D’autre part, l’architecte doit vérifier la compétence des spécialistes.

Enfin tout ce qu’il est lui-même en mesure de concevoir et contrôler reste compris dans sa compétence et il doit donc en répondre.

(par exemple, l’architecte est en mesure de vérifier les cotes transmises par l’ingénieur).

Ces principes doivent être appliqués au devoir général de conseil qui pèse sur l’architecte

6°)  Il ne faut pas confondre devoir de conseil et conception ou contrôle des travaux.

On citera cependant un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui, dans la cause qui lui est soumise, retient à charge de l’architecte un manquement. tant à la mission de conception qu’à l’exécution de son devoir de conseil  Bruxelles, 7 février 2019 R.G. n°2015/AR/2202).

Voir aussi Bruxelles 2 février 2017 R.G. n°2011/AR/899.

La conception et le contrôle visent davantage les travaux proprement dit.

Au sens strict le devoir de conseil se limite à informer le maître de l’ouvrage et à l’assister dans ses choix et décisions.

7°)  A cet égard il faut souligner que le maître de l’ouvrage a – lui aussi – des obligations spécifiques : il a un rôle tantôt actif (facilitation du travail) et tantôt passif (abstention d’immixtion).

En outre, le devoir de conseil est à géométrie variable en fonction de la qualité du maître de l’ouvrage. Selon que ce dernier est profane ou au contraire professionnel.

L’obligation de l’architecte s’apprécie par référence à l’obligation générale de moyens, comme rappelé ci-avant et compte-tenu de la personnalité du maître de l’ouvrage.

8°)  Le contrat d’architecture permet de modaliser et circonscrire le devoir de conseil de l’architecte.

Ainsi, l’attention du maître de l’ouvrage sera utilement attirée par des clauses adéquates du contrat concernant le statut de l’entrepreneur et la nécessité de le vérifier : ce devoir peut être mis à charge du maître de l’ouvrage.

Le contrat indiquera l’obligation du maître de l’ouvrage de ne traiter qu’avec des entrepreneurs capables et compétents.

Le maître de l’ouvrage sera invité à vérifier la situation sociale et fiscale notamment de l’entrepreneur avant chaque paiement de facture. Il pourra, si nécessaire, faire appel à des spécialistes (par exemple un expert-comptable).

Par contre, il appartient à l’architecte d’exercer la vigilance nécessaire quant au déroulement du chantier, mais ceci concernera davantage l’obligation de contrôle

S’il constate par exemple que l’entrepreneur ne fournit plus la cadence nécessaire ou qu’il déserte le chantier, l’architecte devra en informer le maître de l’ouvrage et lui conseiller les mesures adéquates.

On ne peut qu’insister pour que cette vigilance et cette prévention s’applique à temps.

Il n’est pas rare que, confronté à la carence avérée de l’entrepreneur, le maître de l’ouvrage décide de poursuivre malgré tout la relation contractuelle en continuant les paiements d’acomptes ou même en payant directement le fournisseur ou sous-traitant.

Cette pratique est évidemment à proscrire et ne peut se faire qu’aux risques et périls du maître de l’ouvrage préalablement averti par l’architecte.

Ainsi, à mon avis, l’architecte peut valablement se délester d’une partie de ses obligations de conseil en les prodiguant directement par des clauses contractuelles qui informent le maître de l’ouvrage et l’invite à effectuer lui-même les investigations.

On sera cependant attentif au respect de la législation consumériste, afin d’éviter un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, lorsque le maître d’ouvrage est considéré comme un consommateur.

Il faut cependant signaler que la jurisprudence et une certaine doctrine considèrent que le contrôle des accès à la profession ne peut faire l’objet d’une dérogation contractuelle (cf les références citées par J. Albert, L-O. Henrotte et A. Lerouge, Architecte : questions choisies de la vigilance administrative, in Responsabilité des Métiers de l’immobilier – Anthémis, p.92).

Ces auteurs reconnaissent cependant que la définition et l’étendue de ce principe du contrôle des accès à la profession est plus délicate.

L’arrêt de la Cour de cassation du 16 janvier 2012 (RGAR 2012, 14867) décide :

« Le devoir d’assister et de conseiller le maitre de l’ouvrage oblige notamment l’architecte à informer celui-ci de la règlementation relative à l’accès à la profession et des conséquences qui peuvent en résulter. Ces dispositions étant d’ordre public, l’article 6 du code civil interdit d’y déroger par des conventions particulières ».

On citera également l’arrêt de la Cour d’appel de Mons du 29 mars 2016 (2014/RG/907) :

 « …même si la clause avait visé l’obligation pour le maître de l’ouvrage de vérifier l’accès à la profession de son entrepreneur, elle aurait été nulle pour violation de l’ordre public car l’architecte  avait  l’obligation d’effectuer cette vérification lui-même, sans pouvoir la déléguer, car cette obligation touche à la sécurité des personnes ».

Je ne partage pas du tout cette sévérité ; d’une part parce que cette décision méconnaît la définition du devoir de conseil qui consiste à s’informer, à informer le MO et enfin à le conseiller ( orientation des choix constructifs, mises en garde et réserves éventuelles, etc).

D’autre part, il me paraît que l’architecte satisfait à son obligation de conseil concernant l’accès à la profession dès lors qu’il a informé le MO de la règlementation en la matière et de ses conséquences et qu’il lui a donné les outils pour lui permettre de vérifier par lui-même ces accès (voir la BCE et autres sites internet) ;  même un MO profane est en mesure d’effectuer ces recherches.

Enfin, même s’il fallait rattacher le devoir de conseil à la mission d’ordre public de l’architecte, comme le fait la Cour de Cassation (et ceci me paraît procéder d’une confusion entre le devoir de conseil et la mission de conception et contrôle – la loi du 20/2/1939 ne citant pas le devoir de contrôle) encore faut-il rappeler l’enseignement de l’arrêt du 3 mars 1978 de la cour de cassation rappelé ci-avant, concernant la faculté de délégation, même pour des questions qui relèvent de l’ordre public (notamment la responsabilité décennale concernant la stabilité et solidité de l’immeuble).

9°) Les obligations de l’architecte ne sont pas illimitées.

L’architecte n’est pas tenu à effectuer des démarches d’investigations approfondies et constantes concernant la situation administrative et financière de l’entrepreneur.

L’accès à la profession se vérifie  sur la plate-forme en ligne de la BCE ( Bruxelles, 9 janvier 2020 inédit  R.G. 2015/AR/1474).

Ainsi, l’architecte ne sera pas rendu  responsable  et ne manque pas à son devoir de conseil s’il a mis en garde le MO quant au choix de l’entrepreneur ; ainsi éclairé , le MO, qui passe outre cette mise en garde motivée de l’architecte, en supportera les conséquences ( Mons, 7è ch. 11 février 2002, J.L.M.B. 03/539).

B. Vincent et ML. Jordens (Rôle et responsabilités du maître d’ouvrage par le prisme de la jurisprudence – in memoriam D. Jossart et R. de Briey – Anthémis) rapportent cette décision du Conseil de l’Ordre des Architectes , province de Liège, 31 mai 2022, R.G.D.C. 2023 p.644, qui reconnaît que l’architecte se trouvait dans l’impossibilité de poursuivre sa mission en toute indépendance dès lors que le maître de l’ouvrage choisissait l’entrepreneur sans tenir compte de son avis.

« L’architecte ne commet pas de manquement à ce devoir de conseil lorsque le maître de l’ouvrage a été informé au travers du cahier des charges de ses obligations en matière d’enregistrement et que ledit cahier des charges comporte une clause d’exonération à ce sujet au bénéfice de l’architecte » (C. Trav. Liège,  10 novembre 1999, Chron. D.S. 2000 p.488).

B.Kohl, (le contrat d’entreprise, op cit, p. 880) fait cependant observer que cette jurisprudence pourrait ne pas être maintenue depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 6 janvier 2012, déjà cité en vertu duquel il faut considérer qu’en vertu du caractère d’ordre public de l’article 4 de la loi du 20 février 1939, et de l’article 22 du Règlement de déontologie, « sont nulles les clauses qui ont pour effet d’exonérer l’architecte de toute responsabilité quant à son devoir de conseil et d’assistance du maître de l’ouvrage dans le choix de l’entrepreneur ».

Par ailleurs, si l’architecte doit se soucier de la solvabilité de l’entrepreneur, on ne peut lui imposer de faire des enquêtes à ce sujet ni lui reprocher la faillite de ce dernier (cf. Civ. Bruxelles,  (75è ch.)17 novembre 2016 J.L.M.B. 18/647).

Cf aussi Cass. 9 juin 1997, Pas.1997,I,p.647.

L’architecte n’est pas tenu de trouver l’entrepreneur à la place du maître d’ouvrage.

Il n’est pas non plus le garant  de la capacité technique ou financière de l’entrepreneur.

Il convient notamment de vérifier que si le maître d’ouvrage avait choisi un entrepreneur disposant des accès à la profession, l’ouvrage n’aurait pas présenté de malfaçon ( Liège 16 octobre 2020, inédit R.G. n° 2019/RG/702 cité par J. Albert  « Le devoir de conseil et d’assistance » in La mission de l’architecte, chronique de jurisprudence 2010-2020, et autres décisions rapportées, p 58 et suiv.)

Comme le fait remarquer J. Albert et L-O Henrotte (Architecte : questions choisies de la vigilance administrative, op.cit. , p 94 et suiv.) : si le maître d’ouvrage « ne parvient pas à démontrer que l’appel à un entrepreneur disposant des compétences entrepreneuriales requises aurait permis d’éviter les malfaçons constatées ou encore que l’annulation du contrat lui occasionne  un dommage spécifiquement chiffré et établi, la réclamation du maître d’ouvrage sera déclarée non fondée » p.95

En définitive, ce qui importe réellement, c’est la qualité de la construction qui doit être réalisée dans les règles de l’art, conformément aux engagements contractuels et dans les délais et le respect du budget convenus.

C’est alors que la mission de conception et de contrôle prend tout son sens.

L’accès à la profession de l’entrepreneur comme du reste les autres éléments constitutifs de la situation entrepreneuriale  constituent  un indice de confiance mais pas une panacée ni un sauf conduit.

Il ne faudrait pas s’y attacher aveuglément ni exclusivement ; en cela, le devoir de conseil de l’architecte déborde largement la seule vérification de l’accès à la profession.

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D. L’incidence de l’absence de l’accès à la profession

L’absence d’accès à la profession dans le chef de l’entrepreneur entraîne la nullité du contrat d’entrepreneur.

La conséquence sera la restitution réciproque , en nature ou par équivalent, du prix payé et des prestations réalisées

La jurisprudence appliquera les principes de la théorie de l’enrichissement sans cause

Le dommage résultant pour le maître de l’ouvrage du défaut d’accès à la profession de l’entrepreneur doit encore être en lien causal avec cette situation (comme le rappelle Bernard LOUVEAUX « Les praticiens n’ignorent pas que leur principale difficulté n’est pas de démontrer la faute mais bien d’établir avec toute la précision et la rigueur nécessaire, le lien entre cette faute et le dommage revendiqué » (Jurisprudence commentée – Droit de la construction, JLMB 2022, p. 159).

Dans certains cas, la jurisprudence applique également les adages in pari causa et nemo auditur. : « Les parties qui ont conclu ou exécuté un contrat d’entreprise en parfaite connaissance de l’absence de titres d’accès à la profession dans le chef de l’entrepreneur ne peuvent agir pour faire valoir les droits nés de ce contrat nul, par application de l’adage « nemo auditur propriam turpitudinem allegans »… Le droit d’agir d’un maître d’ouvrage, en restitution de somme qu’il a versée en exécution d’un contrat d’entreprise nul et en dommages-intérêts des conséquences dommageables pourvu d’un contrat d’entreprise nul, est conditionné par l’existence dans son chef d’une ignorance de la cause de la nullité au moment de la conclusion  et de l’exécution du contrat d’entreprise » .

(Liège 21 décembre 1999, Rev.rég.dr. 2000 p.190)

L’accès à la profession doit être obtenu par l’entrepreneur au moment de la conclusion du contrat ; l’obtention de cet accès en cours d’exécution du contrat n’empêchera pas la nullité de ce dernier. ( cf . B. Kohl, le contrat d’entreprise  op cit . p 871)

En ce qui concerne l’enregistrement des entrepreneurs, rappelons la solidarité du MO pour le paiement des dettes sociales ( loi 27/6/1969) et fiscales ( art.402 CIR92) de l’entrepreneur ainsi que l’obligation de procéder aux retenues imposées.

Ceci ne s’applique pas au MO privé.

D’autre part, il revient au maître d’ouvrage qui se prétend préjudicié de rapporter la preuve non seulement de son dommage et de la faute de l’architecte  mais également du lien causal entre cette faute et le dommage.

E. Incertitude

 Jurisprudence se montre attentive à tous les éléments de la cause qui lui est soumise.

Ainsi un arrêt de la Cour d’appel de Mons du 25 novembre 1992 (JLMB 1994, p. 110) décide que « Le fait que l’architecte recommande un entrepreneur avec lequel il a déjà entretenu certaines relations d’affaires ait été ultérieurement déclaré en faillite ne démontre pas que son incurie était notoire, ni que l’architecte a commis une faute en recommandant son entrepreneur ».

Comme le fait observer Isabelle EKIERMAN, Observations, absence d’accès à la profession et nullité des contrats d’entreprise, Nuit et brouillard au pays des restitutions, Entreprise et Droit 2018, p.273 :

« En 2013 la revue a publié ensuite de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 15 décembre 2011 qui estimait que l’entrepreneur pourrait bénéficier d’une certaine indulgence, dans le cadre des restitutions, dans la mesure où ce dernier avait pu se méprendre sur la régularité de sa situation.

 Dans une note de la rédaction de la revue plus récente, commentant un arrêt de la Cour d’appel de Liège du 23 avril 2015, est cette fois invoquée la question de la spéculation possible dans le chef d’un maître de l’ouvrage, traitant avec un entrepreneur ne disposant pas les accès à la profession.

En d’autres termes si un maître de l’ouvrage traite avec un entrepreneur ne disposant pas des accès à la profession et spécule sur cet élément pour en tirer profit, les tribunaux, en vertu du même principe memo auditur … peuvent en tenir compte dans le cadre des restitutions.

 Dans un article très complet, L-O. HENROTTE s’interroge à juste titre sur les interprétations parfois étonnantes des principes rappelés ci-avant par les Cours et Tribunaux. En effet l’analyse par L-O HENROTTE des dernières jurisprudences fait apparaitre que les effets de la nullité varie considérablement en fonction de critères multiples et nous confère guère de sécurité juridique.

 L.GLANSDORFF écrit également qu’il n’existe aucun droit cohérent des restitutions après annulation ».

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