Article rédigé par Me J-P. VERGAUWE

 

Depuis qu’il a été institué par la loi du 20 février 1939, le monopole de l’architecte a déjà suscité bon nombre de réactions et d’interrogations quant à son utilité réelle.

En imposant à tout maître d’ouvrage, public ou privé, le recours au concours d’un architecte pour l’établissement des plans et le contrôle de l’exécution des travaux pour lesquels le législateur (régionalisé actuellement) impose une demande préalable d’autorisation de bâtir, l’article 4 de la loi du 20 février 1939, qui n’a pas été modifiée par la loi Laruelle du 15 février 2006, poursuit un double but, à savoir, d’une part, la protection du patrimoine immobilier et, d’autre part, la protection du maître de l’ouvrage considéré comme profane et inexpérimenté.

Le monopole de l’architecte s’inscrit dans un ensemble, à savoir la protection du titre d’architecte (article 1), lui-même fondé sur une formation professionnelle consacrée par diplôme.

L’article 2 de la loi du 20 février 1939, modifié par la loi Laruelle, réserve l’exercice de la profession d’architecte aux personnes qui y sont désignées.

Enfin, le monopole accordé à l’architecte comporte une sérieuse entrave en ce que l’article 6 de la loi du 20 février 1939 institue une incompatibilité stricte entre les professions d’architecte et d’entrepreneur de travaux publics ou privés.

On sait que la jurisprudence interprète cette incompatibilité de façon extensive, en interdisant à l’architecte d’exercer la profession de promoteur ou de commerçant en général.

Cette interdiction, certes, se fonde également sur la circonstance que l’architecte est une profession libérale et que, en tout cas, l’architecte ne pourrait être commerçant.

L’évolution de ces dernières décennies permet raisonnablement de remettre en question l’utilité et la pertinence du monopole de l’architecte.

On constate, en effet, que dans le processus de construction apparaissent de plus en plus d’intervenants qui ne sont pas architectes : promoteur, project manager, quantity and quality surveyor, ingénieur en stabilité et techniques spéciales, sans compter les fabricants et les entrepreneurs spécialistes.

On mentionnera également les coordinateurs sécurité-santé, les conseillers PEB etc…

Le rôle des administrations publiques et leur ingérence dans la conception des projets, de même que la normalisation des règles de l’art vont également dans le sens d’un émiettement et d’un éclatement du monopole de l’architecte.

D’autre part, le monopole a un prix : l’incompatibilité rappelée ci-avant, mais qui est battue en brèche lorsque l’on sait que de grands bureaux d’architecture n’hésitent pas à garantir dans leur contrat le respect du prix et du délai ; l’incompatibilité fait également mauvaise figure dans le cadre de certains marchés publics ou lorsque la construction est exécutée par un bouwteam ou par un promoteur immobilier.

D’autre part, le monopole justifie, pour la jurisprudence, un alourdissement de la responsabilité de l’architecte alors que, à ce jour, il n’existe aucune codification du droit de la construction en Belgique et que les autres intervenants, et particulièrement l’entrepreneur, échappent à une réglementation structurée de leur profession.

On peut dès lors se poser la question de savoir si l’architecte est encore le seul intervenant qui bénéficie d’une formation professionnelle, d’une compétence et d’une responsabilité.

Quelle est la spécificité monopolistique de l’architecte en termes de création, de coordination ou de devoir de conseil ?

Il convient, dès lors, de redéployer le monopole ; des législations éparses, telles que l’accès à la profession pour les petites et moyennes entreprises vont dans ce sens.


 

Il convient donc de se poser la question aujourd’hui : le monopole a-t-il encore droit de cité ? Représente-t-il un atout pour l’architecte ?

On constatera que bon nombre de pays de l’Union européenne ne connaissent pas le système du monopole, alors qu’une récente étude « The Architectural Profession in Europe », qui sera prochainement publiée par le C.A.E. et qui est actuellement disponible en version anglaise sur le site des architectes catalans, montre que l’évaluation de l’architecte par les clients, les autorités publiques, les professionnels etc… ne confère pas une meilleure opinion de l’architecte dans les pays tel que la Belgique (et dans une certaine mesure la France pour les projets supérieurs à 170m²) qui imposent l’architecte.

Par contre, des pays comme le Danemark, la Finlande ou la Suède, qui n’imposent pas le monopole de l’architecte, connaissent une meilleure évaluation positive de l’architecte.

Dans un récent article publié par le Journal de l’Architecte (février 2009, n° 224), l’ancien Président du Conseil national, Monsieur Jos LEYSENS, s’exprime ainsi : « la Belgique est le seul pays à posséder un monopole, les autres pas. Certains me le reproche, mais je ne suis pas si favorable au monopole. Il est là et je me rends compte que ce monopole est à la base de beaucoup de nos activités, mais il n’est apparemment pas facteur de richesse si vous regardez ce qu’il se passe dans d’autres pays ».

Cette conclusion suit le constat navrant que les architectes belges partagent avec leurs confrères turcs la triste situation d’être les architectes les moins bien payés en Europe !

Sans compter l’effet pervers que le monopole a pu avoir dans l’esprit du public (l’architecte est un passage obligé, mais incompris) et également auprès de certains architectes qui se sont transformés en architectes prête-noms.

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