Article publié par Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue  Architrave de décembre 2017, n° 194

 

La loi du 31 mai 2017 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile décennale pour les entrepreneurs, les architectes et les autres prestataires du secteur de la construction entrera en vigueur le 1er juillet 2018 (article 22).

Relevons les points essentiels de cette loi fort attendue quoiqu’elle règle de manière imparfaite et incomplète la matière de l’assurance de la RC Professionnelle des intervenants à l’acte de bâtir.

 

1. LES DEFINITIONS (champ d’application)

1°.L’entrepreneur est défini comme étant « toute personne physique ou morale qui s’engage à effectuer pour le compte d’autrui, moyennant rémunération directe ou indirecte, en toute indépendance mais sans pouvoir de représentation, un travail immobilier donné, sur des habitations situées en Belgique, pour lequel l’intervention de l’architecte est obligatoire en vertu de l’article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte ».

Cette définition n’est pas révolutionnaire ; elle confirme que l’entrepreneur agit de manière indépendante et sans mandat de représentation du maître de l’ouvrage.

On notera toutefois que le champ d’application de la loi est limité à l’entrepreneur « pour lequel l’intervention de l’architecte est obligatoire ».

Ce qui exclut tous travaux effectués par des entrepreneurs pour lesquels cette intervention n’est pas requise.

 

2° La définition de l’architecte n’est pas nouvelle, il s’agit de « toute personne physique ou morale autorisée à exercer la profession d’architecte au sens de l’article 2 de la loi du 20 février 1939 », lorsque son intervention est légalement obligatoire et enfin « pour autant que son activité ait trait à des travaux exécutés et prestations délivrées en Belgique ».

En conséquence, ne sont pas soumises à la loi les prestations de l’architecte qui n’entrent pas dans le cadre des interventions légalement obligatoires de l’architecte en vertu de l’article 4 de la loi du 20 février 1939.

Cette matière étant régionalisée, l’application de la loi devra tenir compte du Cobat pour la Région bruxelloise, du CoDT pour la Région wallonne et du Vlaamse Codex Ruimtelijke Ordening en région flamande.

3°Autres prestataires du secteur de la construction : le législateur définit ces prestataires comme étant « toute personne physique ou morale, autre que le promoteur immobilier, qui s’engage à effectuer pour le compte d’autrui moyennant rémunération directe ou indirecte en toute indépendance, mais sans pouvoir de représentation, des prestations de nature immatérielle relative à un travail immobilier donné sur des habitations situées en Belgique. Il s’agit de travail immobilier pour lequel l’intervention de l’architecte est obligatoire en vertu de l’article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la protection de l’architecte ».

L’exposé des motifs du projet de loi à la Chambre des Représentants indique que « par la notion d’autres prestataires du secteur de la construction, sont notamment visés les bureaux d’études ». On s’étonnera – et regrettera ! – que la profession de promoteur immobilier soit expressément exclue du champ d’application de la loi.

Une attention particulière sera portée à la situation du promoteur qui est en même temps entrepreneur. Aucune explication n’est fournie par les travaux préparatoires.

4° – Habitation :

La loi définit l’habitation comme étant « un bâtiment destiné au logement ».

L’article 2 de la loi précise « on entend un bâtiment ou la partie d’un bâtiment, notamment la maison unifamiliale ou l’appartement qui, dès le début des travaux immobiliers, de par sa nature, est destiné totalement ou principalement à être habité par une famille, éventuellement unipersonnelle et dans lequel se déroulent les diverses activités du ménage ». Le législateur précise que ne sont pas des habitations au sens de la loi « les chambres situées dans les logements collectifs, c’est-à-dire les bâtiments où au moins une pièce d’habitation et un local sanitaire sont utilisés par plusieurs personnes n’ayant pas toutes entre elles un lien familial ».

Le Conseil d’Etat a estimé que « la définition de la notion de « habitation », figurant à l’article 2, 4ème du projet est complexe et certains de ses éléments sont imprécis ».

Le Conseil d’Etat relève qu’il est recouru à deux critères : en premier lieu le critère de la destination et ensuite celui de l’utilisation. Le Conseil d’Etat regrette que cette définition ait une portée de fait qui ne pourra pas toujours être établie avec la sécurité juridique qui s’impose et relève qu’initialement, c’est-à-dire au moment de la construction, un bâtiment peut ne pas être considéré comme une « habitation » mais qu’au cours du temps il peut encore devenir une habitation au sens de la disposition légale parce qu’il est utilisé comme logement ( exemple : un loft établi dans un ancien atelier ou entrepôt). D’une façon plus générale, la question se posera lorsqu’il y a changement d’affectation.

 

5° – L’assurance de la responsabilité civile décennale :

Cette assurance est définie à l’article 3 de la loi. Il s’agit de l’assurance qui couvre la responsabilité civile visée aux articles 1792 et 2270 du Code civil pour une période de 10 ans à partir de l’agréation des travaux. Rappelons que suivant la Cour de cassation, l’agréation n’intervient en principe que lors de la réception définitive sauf lorsque les parties ont décidé contractuellement d’accorder à la réception provisoire l’effet d’agréation des travaux dans leur état apparent. En général la réception provisoire reçoit cet effet d’agréation.

Il s’agit donc exclusivement de la responsabilité décennale qui sera appelée en cas de vice grave mettant en péril la solidité ou la stabilité de l’immeuble. Les vices véniels ne sont pas visés. En effet, le législateur apporte une limitation fondamentale, à savoir que la couverture d’assurance vise la responsabilité « limitée à la solidité, la stabilité et l’étanchéité du gros-œuvre fermé de l’habitation lorsque cette dernière met en péril la solidité ou la stabilité de l’habitation ».

On peut à cet effet regretter que l’assurance de la responsabilité civile professionnelle soit ainsi limitée et ne couvre pas toutes les interventions des acteurs de la construction alors que, comme l’a relevé l’Ordre des Architectes, bon nombre de litiges concernent des ouvrages et travaux qui, au sens strict, ne mettent pas en péril la solidité ou la stabilité voire l’étanchéité de l’immeuble.

Le législateur a prévu une série d’exclusions, visées à l’article 3 de la loi, parmi lesquelles on retiendra notamment les dommages immatériels purs, ainsi que les dommages « apparents ou connus par l’assuré au moment de la réception provisoire ou résultant directement de vices, défauts ou malfaçons connus de lui au moment de ladite réception ».

Enfin, les dommages matériels et immatériels pris en compte doivent être supérieurs à   € 2.500, montant lié à l’indice ABEX. Le législateur ne définit pas les « dommages immatériels purs » visés à l’article 3, alinéa 2, 4° ni les « dommages immatériels inférieurs à € 2.500 » visés à l’article 3, alinéa 2, 8°.

Dans quelle catégorie faut-il ranger, par exemple, les troubles de jouissance ou pertes locatives ?

Les exclusions prévues par la loi du 4 avril 2014 relatives aux assurances sont également d’application.

 

6° – L’assuré :

S’inspirant de la loi LARUELLE du 15 février 2006, le législateur définit l’assuré comme étant « toute personne physique ou morale exerçant la profession d’architecte, d’entrepreneur ou d’autre prestataire du secteur de la construction, mentionné dans le contrat d’assurance, ainsi que ses préposés et sous-traitants ». Les préposés sont notamment « le personnel, les stagiaires, les apprentis ou autres collaborateurs » .

De même, dans le cas d’une personne morale, sont également couverts les administrateurs, gérants, membres du comité de direction et tous les autres organes de la personne morale chargés de la gestion ou de l’administration de cette personne morale lorsqu’ils agissent pour le compte de celle-ci dans le cadre de l’exercice de la profession d’architecte, d’entrepreneur ou de prestataire du secteur de la construction. Le preneur d’assurance veillera donc à renseigner et faire assurer tous ces préposés dont la définition légale est fort étendue. Ainsi, l’architecte devra inclure son personnel dans la police d’assurance ; s’il preste dans le cadre d’une société d’architecture, tous les organes de celle-ci devront être couverts.

Le Conseil d’Etat pose la question de savoir si cette définition implique par exemple qu’un sous-traitant est lui-même aussi débiteur de l’obligation d’assurance ou si c’est l’entrepreneur principal qui doit conclure un contrat d’assurance pour le sous-traitant. La réponse au Conseil d’Etat est la suivante « l’exposé des motifs prévoit qu’il est possible de souscrire une police globale qui couvre tous les débiteurs de l’obligation d’assurance. Dans ce cas, le sous-traitant sera couvert par la police globale. En l’absence de police globale, il doit souscrire, à son nom, une police d’assurance, soit à l’année, soit par chantier. Rappelons que la prime d’assurance est fonction du risque ».

L’attention de l’architecte est donc particulièrement attirée sur la situation du sous-traitant en matière d’assurance dès lors, comme nous le verrons ci-après, que le législateur impose à l’architecte une obligation de contrôle de l’assurance conformément à l’article 12 de la loi.

 

2. OBLIGATION D’ASSURANCE

Les personnes concernées par la loi et rappelées ci-avant, dont la responsabilité civile décennale peut être engagée à raison des actes accomplis sur des habitations situées en Belgique à titre professionnel ou des actes de leurs préposés, sont obligatoirement couvertes par une assurance dont la définition a été rappelée ci-avant.

L’article 6 de la loi définit les limites inférieures de la couverture, à savoir € 500.000 lorsque la valeur de reconstruction du bâtiment destiné au logement dépasse € 500.000 et la valeur de reconstruction de l’habitation lorsque la valeur de reconstruction du bâtiment destiné au logement est inférieure à € 500.000. Ces montants sont liés à l’indice ABEX.

La garantie d’assurance porte « sur les dommages survenus pendant la période de 10 ans qui suit l’agréation des travaux et qui sont la conséquence de la responsabilité du débiteur de l’ assurance. » Le législateur ne précise pas si cette agréation intervient à la réception provisoire ou définitive. Toutefois, comme indiqué ci-avant, l’article 3 exclut les dommages apparents connus par l’assuré « au moment de la réception provisoire ». En tout cas, il est rappelé que les contrats d’architecture et d’entreprise doivent impérativement indiquer que la réception provisoire constitue l’agréation des travaux dans leur état apparent faute de quoi, suivant l’enseignement inchangé de la Cour de cassation, l’agréation n’interviendra qu’à la réception définitive.

Le législateur précise que les assurances visées peuvent être souscrites, soit sous forme d’une police annuelle, soit sous forme d’une police par projet ou encore qu’elles peuvent s’inscrire dans le cadre d’une assurance globale souscrite pour le compte de tous les débiteurs de l’obligation d’assurance appelés à intervenir sur un chantier déterminé. Dans ce cas, les intervenants couverts sont dispensés d’une assurance individuelle pour ce projet. On vise les assurances contrôle notamment.

L’article 9 de la loi exclut les fonctionnaires de l’Etat, d’une Région ou d’une Communauté ou de la Régie des Bâtiments de l’obligation de couverture par une assurance pour autant que leur responsabilité, y compris décennale, soit couverte par l’Etat, la Région, la Communauté ou la Régie des Bâtiments.

A défaut, ceux-ci seront tenus responsables à l’égard des personnes lésées dans les mêmes conditions que l’assureur et dans les limites de la garantie prévue dans la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

Par dérogation à l’obligation d’assurance rappelée ci-avant, l’entrepreneur, l’architecte ou l’autre prestataire du secteur de la construction peut constituer un cautionnement dont les conditions et modalités de dépôt et de libération sont déterminées par le Roi (article 13).

La preuve de ce cautionnement devra être fournie avant l’entame de tout travail immobilier conformément à l’article 12 de la loi.

 

3. PREUVE DE L’ASSURANCE

Le législateur met en place un système complexe destiné à garantir la preuve de la souscription de l’assurance obligatoire. Résumons ces différentes prescriptions :

1. L’assureur doit délivrer, au plus tard le 31 mars de chaque année, au Conseil de l’Ordre des Architectes une liste électronique reprenant les architectes ayant conclu un contrat d’assurance auprès d’elle ; la résiliation d’une police d’assurance couvrant l’architecte doit également être communiquée au Conseil de l’Ordre par l’assureur ou l’architecte assuré. Aucune résiliation ne peut intervenir sans avoir préalablement averti le Conseil de l’Ordre des Architectes ; on peut supposer que des précisions seront fournies en temps utile étant donné la réforme en cours de la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des Architectes.

2. La convention d’architecture doit obligatoirement reprendre le nom de l’entreprise d’assurance de l’architecte, le numéro de sa police et les coordonnées du Conseil de l’Ordre des Architectes, qui peut être consulté dans le cadre du respect de l’obligation d’assurance. Ceci était déjà inscrit à l’article 7, paragraphe 2, de l’Arrêté Royal relatif à l’assurance obligatoire prévu par la loi du 20 février 1939.

3. « Avant l’entame de tout travail immobilier, les entrepreneurs et les autres prestataires du secteur de la construction remettent une attestation d’assurance au maître de l’ouvrage et à l’architecte ». Il convient d’attirer spécialement ici l’attention des architectes puisque le législateur leur impose de réclamer cette attestation le cas échéant. Nous verrons ci-après que cette obligation de l’architecte est pénalement sanctionnée suivant l’avis du Conseil d’Etat relatif à l’article 16 de la loi (cf. infra).

4. Lorsque les droits réels concernant l’immeuble sont cédés avant l’expiration de la période de couverture de la responsabilité décennale, le notaire s’assure que le titulaire du droit réel transmet l’attestation d’assurance à l’acquéreur.

5. Cette attestation est également transmise à l’ONSS par l’entrepreneur et, lorsque le travail immobilier est financé au moyen d’un contrat de crédit, le prêteur vérifie que les architectes, les entrepreneurs et autres prestataires respectent l’obligation d’assurance. Le maître de l’ouvrage doit remettre ces attestations au prêteur.

6. Lorsque tous les prestataires sont couverts par une assurance globale, l’attestation globale est remise à l’architecte et/ou au maître de l’ouvrage s’ils ne sont pas les preneurs d’assurance.

7. Enfin, sur le chantier, tout entrepreneur ou autre prestataire doit pouvoir remettre dès la première demande un exemplaire de l’attestation (article 12 §3).

L’attestation d’assurance est un document par lequel : « L’assureur confirme par la remise d’une attestation que les couvertures d’assurance sont conformes à la présente loi et ses Arrêtés d’exécution. Le Roi peut déterminer la forme et modalité de cette attestation » (article 12 §4).

4. SANCTIONS

Le législateur organise la recherche, la constatation et les sanctions des infractions commises par l’entrepreneur et les autres prestataires du secteur de la construction d’une part, et des infractions commises par l’architecte d’autre part.En ce qui concerne l’architecte, cette question est réglée aux articles 15 à 19 de la loi.Les infractions de l’architecte sont punies d’une amende pénale de € 26 à € 10.000 à multiplier par les décimes additionnels légaux.

Les agents commissionnés par le Ministre, ayant l’économie dans ses attributions, peuvent toutefois proposer une transaction à l’architecte conformément à l’article XV.61 du Code de droit économique.

De même, « est punie d’une amende de niveau 1, conformément à l’article XV.70 du Code de droit économique, toute contravention par l’architecte aux articles 5 et 12 §1, alinéa 1°,  2ème ».

L’article 12§1, alinéa 1, 2ème vise précisément l’obligation pour l’architecte de réclamer l’attestation d’assurance de la part des entrepreneurs et autres prestataires avant l’entame de tout travail immobilier.

Le Conseil d’Etat relève le commentaire figurant dans l’exposé des motifs concernant cette question : « la non-exécution de sa mission de contrôle par l’architecte est considérée comme une infraction car elle peut avoir de graves conséquences. Dès lors, y est assortie une sanction de niveau 1 en vertu de l’article XV.70 du Code de droit économique, soit une amende pénale de € 26 à € 5.000 à multiplier par les décimes additionnels légaux. Cette disposition prévoit également la possibilité de conclure une transaction ».

L’attention de l’architecte sera donc particulièrement attirée sur cette obligation qui lui est légalement imposée de se faire remettre l’attestation d’assurance de la part de l’entrepreneur et des autres prestataires du secteur de la construction et ce avant le commencement des travaux.

 

5. BUREAU DE TARIFICATION

On notera la création d’un bureau de tarification (chapitre 4, articles 10 et suivants de la loi) qui a pour mission « d’établir la prime et les conditions auxquelles une entreprise d’assurance couvre une personne soumise à l’obligation d’assurance en vertu de la présente loi, qui ne trouve pas de couverture sur le marché régulier » (article 10 §1). Tel est le cas « lorsqu’au moins trois entreprises d’assurance ont refusé d’accorder une couverture à l’intéressé » (article 10 §2). Le bureau de tarification fixe la prime en tenant compte du risque que le preneur d’assurance présente.

 

6. LOI DU 20 FEVRIER 1939

Enfin, on notera que la loi apporte certaines modifications à la loi du 20 février 1939, en particulier l’article 2 §4 et l’article 9 qui est abrogé, de même que l’article 11 in fine. En bref, l’assurance à laquelle la loi du 20 février 1939 se réfère est celle créée par la loi Laruelle ; cette assurance couvre la responsabilité, sans exception et y compris la décennale. Les conditions de cette assurance sont fixées par l’AR. du 25 avril 2007. Ceci sera modifié en ce que l’assurance sera dorénavant obligatoire seulement pour la responsabilité décennale ; il s’agit donc d’un pas en arrière mais le gouvernement prépare une autre loi, comme il sera vu ci-après. De toute manière, les architectes ont tout intérêt à couvrir l’ensemble de leurs responsabilités, comme ils le font déjà à présent.

 

Appréciation critique

La loi va certes dans le bon sens puisqu’elle règle enfin la responsabilité des intervenants à l’acte de bâtir. Cette demande avait été formulée depuis de très nombreuses années, particulièrement en ce qui concerne les entrepreneurs. Comme le rappelle l’exposé des motifs, la loi met fin à la discrimination relevée par la Cour Constitutionnelle dans son arrêt n° 100/2007 du 12 juillet 2007 ; dans cet arrêt la Cour relevait que la discrimination entre l’architecte et l’entrepreneur « n’est toutefois pas la conséquence de l’obligation d’assurance imposée aux architectes par la loi attaquée mais bien de l’absence, dans le droit appliqué « aux autres parties intervenants à l’acte de bâtir », d’une obligation comparable ». Le législateur entend également assurer une meilleure protection au maître de l’ouvrage.

Toutefois le travail est loin d’être achevé. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le projet n’a été adopté que par 81 voix pour, 21 voix contre et 33 abstentions.

On constatera notamment que :

  1. Le promoteur immobilier est exclu de la définition des autres prestataires du secteur de la construction.
  2.  La responsabilité couverte ne concerne que la responsabilité décennale des articles 1792 et 2270 du Code civil ; à cet égard, la loi est en retrait par rapport à la loi du 15 février 2006 relative à l’exercice de la profession d’architecte dans le cadre d’une personne morale puisque l’article 4 de cette loi impose la couverture par une assurance pour la responsabilité de toute personne physique ou morale autorisée à exercer la profession d’architecte et dont la responsabilité « en ce compris la responsabilité décennale, était engagée en raison des actes qu’elle accomplit à titre professionnel ou des actes de ses préposés ».
  3.  La loi ne concerne que certaines catégories de travaux et de bâtiments.
  4. La loi limite les dommages couverts.

On ne peut qu’espérer qu’à brève échéance le législateur apportera des compléments indispensables à la loi. Entre-temps, bien entendu, les polices d’assurance de la responsabilité civile souscrites par les architectes auprès des assureurs continuent d’exister. Il appartiendra aux assureurs de se conformer aux nouvelles dispositions légales en présentant des garanties spécifiques.

 Le Gouvernement semble d’ores et déjà conscient des lacunes de cette loi puisque les Ministres K. PEETERS et W. BORSUS ont préparé un avant-projet de loi intitulé « Projet de loi relatif à l’assurance obligatoire, les responsabilités civiles professionnelles des architectes, des géomètres et autres prestataires du secteur de la construction de travaux immobiliers et portant modifications des diverses dispositions légales en matière de la responsabilité civile dans le secteur de la construction ».Il est prématuré de commenter dès à présent en détail cet avant-projet qui est au stade des consultations ; relevons cependant quelques points importants.

L’exposé des motifs de ce projet rappelle que « depuis une quarantaine d’années, de nouveaux métiers intellectuels ont vu le jour et sont parties prenantes à l’acte de bâtir. L’évolution des technologies, les défis environnementaux et la densification de l’habitat ont modifié en profondeur cette relation triangulaire ».

Ceci est une évidence apparue depuis de nombreuses années mais il n’est pas inutile que le Gouvernement en prenne enfin conscience. L’exposé des motifs identifie également les prestataires de services intellectuels qui interviennent dans l’acte de bâtir aux côtés de l’architecte et qui sont multiples : ingénieurs, bureaux d’études (stabilité, techniques spéciales, …), project managers, quantity surveyors, auditeurs et certificateurs énergétiques, géomètres, etc…. Certains prestataires ont une obligation légale d’assurance tandis que d’autres pas. Il convient d’assurer l’égalité de traitement de ces acteurs.

Dès lors il est convenu que « dans un souci de protection du maître de l’ouvrage, le projet vise à généraliser l’obligation d’assurance en responsabilité civile professionnelle (hors responsabilité décennale qui fait l’objet d’une autre loi) ».

Le projet définit l’architecte, le géomètre expert, le coordinateur sécurité santé ainsi que les « autres prestataires du secteur de la construction comme étant « toute personne physique ou morale qui s’engage à effectuer, pour le compte d’autrui, moyennant rémunération directe ou indirecte, en toute indépendance mais sans pouvoir de représentation, les prestations principalement de nature immatérielle relatives à un travail immobilier situé en Belgique ». Cette définition est large bien qu’il soit prévu que le Roi puisse exclure certaines professions de cette catégorie. Elle devrait en tout cas cette fois inclure les promoteurs immobiliers.

Le projet prévoit l’obligation d’assurance obligatoire, outre l’assurance de la responsabilité civile décennale, pour « tout architecte, géomètre expert, coordinateur sécurité santé ou autre prestataire du secteur de la construction dont la responsabilité civile peut être engagée en raison des actes qu’il accomplit, à titre professionnel ou des actes de ses préposés ».

Cette fois enfin, la couverture d’assurance semble être généralisée puisqu’elle vise les actes accomplis à titre professionnel sans restriction sauf en ce qui concerne la responsabilité civile décennale dont l’obligation d’assurance est déjà confirmée par la loi du 11 mai 2017. Malheureusement, les entrepreneurs ne sont pas visés par cette nouvelle obligation d’assurance mais seulement les intervenants précités dès lors que l’avant-projet ne vise que les professions intellectuelles, auxquelles pourtant le promoteur est assimilé…

La couverture d’assurance ne peut être inférieure par sinistre à 1.500.000 d’euros pour les dommages résultant des lésions corporelles, 500.000 euros pour les dommages matériels et immatériels et 10.000 euros pour les objets confiés à l’assuré. Ces montants étant reliés à l’indice des prix. Le projet prévoit cependant certaines exclusions.

L’article 6 du projet fixe les délais de couverture de l’assurance L’article 7 du projet définit les personnes assurées ; le texte s’inspire très largement de l’article 4 de la loi du 31 mai 2017 commenté ci-avant. Le projet prévoit également une situation particulière pour les fonctionnaires. Un bureau de tarification est créé.

Les modes de preuve de la souscription de l’assurance sont également définis dans le projet.

On notera que contrairement à la loi du 31 mai 2017, l’architecte n’est plus chargé de vérifier par lui-même la souscription des assurances avant l’entame de tout travail immobilier, comme le prescrit l’article 12 de la loi du 31 mai 2017. Le projet, en effet, prévoit des mesures de publicité à communiquer par l’entreprise d’assurance au Conseil de l’Ordre des Architectes ou au Conseil Général des Géomètres Experts, ainsi que des mentions dans le contrat d’architecture.

Par ailleurs « tous les documents émanant d’un architecte, géomètre expert, coordinateur de sécurité- santé ou autre prestataire du secteur de la construction mentionnent le nom et le numéro d’entreprise de l’entreprise d’assurance et le numéro de contrat d’assurance ». Enfin, sur le chantier, les assurés visés devront pouvoir remettre à première demande une attestation d’assurance.

Le projet prévoit également la recherche, la constatation et les sanctions des infractions commises.

La loi du 20 février 1939 serait modifiée à nouveau. Cette fois, la loi du 20 février 1939 renverrait d’une part à l’assurance décennale obligatoire (telle qu’instituée par la loi du 31 mai 2017) et, d’autre part, à l’assurance obligatoire pour « la responsabilité civile professionnelle dans le secteur de la construction » (suivant le projet Borsus, à savoir une assurance couvrant toute la responsabilité et pas seulement décennale). Il faudra bien s’accrocher pour ne pas se méprendre !

Si ce projet est adopté, il est indiscutable que la situation sera relativement inextricable puisque des lois différentes régleront la responsabilité civile professionnelle de certains acteurs de la construction (à l’exclusion de l’entrepreneur) et que la responsabilité décennale des constructeurs (incluant cette fois l’entrepreneur, mais excluant le promoteur immobilier) seront régies par la loi du 31 mai 2017. Par ailleurs, les modes de preuve et de vérification créeront également des distorsions. Ceci est regrettable.

Lorsque mon ami Renaud de BRIEY et moi-même avons fait publier un Code du droit de la construction commenté en 2004, nous souhaitions susciter une réflexion en profondeur permettant d’aboutir à la création d’un véritable Code de la construction. Ce vœu n’est toujours pas satisfait. Pourtant le Gouvernement lui-même reconnait l’évolution fondamentale que le secteur de la construction immobilière a connue. Il faut donc à nouveau formuler le souhait que le Gouvernement s’attèle à la création d’un véritable Code du droit de la construction reprenant toutes les dispositions légales en la matière afin d’unifier ces dispositions éparses.

En attendant, les juristes et avocats connaitront encore des beaux jours.