Article publié par Philippe DELMARCELLE dans la revue Architrave n° 213 de décembre 2022
1.
En cours d’exécution de travaux de rénovation, un entrepreneur endommage le mur d’entrée de la propriété voisine lors de la dépose d’un container. Si la responsabilité de l’entrepreneur n’est pas contestée, le montant de l’indemnisation évaluée à 10.000 euros est discutée par les parties et les experts.
Ce mur construit dans les années 50 ne présentait aucun signe tels que fissure, affaissement qui aurait permis de retenir une faiblesse au nouveau de sa stabilité ou un défaut d’entretien. En d’autres termes, il était en parfait état et assurait parfaitement sa fonction.
La victime demande la reconstruction du mur à l’identique tandis que l’entrepreneur et son assureur estiment que vu l’ancienneté du mur, il y a lieu d’appliquer un taux de vétusté de 50 pc avec comme conséquence que la victime doit supporter un montant de 5000,00 euros .
Au regard de l’âge de ce mur, il serait logique de retenir un taux de vétusté, la victime se retrouvant avec un mur neuf.
2.
En tant que professionnels de la construction, vous êtes souvent confrontés à cette situation et aux difficultés pour évaluer le dommage.
On parlera de vétusté, de moins/plus -value, de valeur à neuf, de valeur réelle, de valeur vénale, d’amortissement mais également de réceptivité ou de prédisposition.
Ces termes sont définis dans le langage courant mais également financier, comptable.
Ils prêtent également à confusion.
Ainsi la vétusté qui fait l’objet de cet article n’est pas synonyme de la réception ou de la prédisposition d’un immeuble à subir certaines dommages.
3.
En droit, la réponse est plus nuancée au regard des principes de la responsabilité et de la réparation du dommage.
Je rappelle ces principes qui sont les piliers de notre droit de la responsabilité.
L’auteur de la faute qui a causé le dommage, doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage.
Cette règle s’applique en cas de responsabilité aussi bien quasi-délictuelle ( article 1382 du code civil ) que contractuelle ( art. 1147 code et suivant de l’ancien code civil ).
L’article 1382 du Code civil oblige celui par la faute duquel un dommage est arrivé à autrui à le réparer.
L’ancien article 1147 et suivants du code civil énonce que le débiteur d’une obligation est condamné si il y a lieu à des dommages et intérêts en raison de l’inexécution de cette obligation ou en raison du retard apporté à cette exécution. Les dommages et intérêts sont en général de la perte faite par le créancier et du bien dont il a été privé sauf exception prévue par la loi
Le principe est que la victime a droit à la réparation intégrale de son dommage ( Cass. , 17 janvier 1929, Pas. 1929, I, p 63 ).
Ce principe est repris à l’article 5.237 du nouveau Code civil et à l’article XVII.72 du Code de droit économique.
L’article 5.237 indique « En cas d’inexécution imputable au débiteur , celui-ci est tenu de réparer intégralement , en nature ou sous forme pécuniaire, le dommage subi par le créancier.
Les articles 1382 à 1386 bis de l’ancien code civil sont d’application conforme à moins que leur nature et leur portée ne soient incompatibles avec une telle application ».
Pour la Cour de Cassation « le dommage dont la réparation est due, consiste non point dans la privation pour la victime du prix de la chose mais dans la privation de la chose elle-même ( Cass. , 28 septembre 1994, Pas. 1994, I, 774 )
4.
En d’autres termes, la victime doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage ne s’était pas produit.
En matière immobilière, la réparation d’un immeuble neuf ne pose en général pas de difficulté .
En revanche, se pose la question de la réparation intégrale du dommage en cas de réparations ou de reconstruction d’une construction ancienne.
Pour les immeubles, il est exceptionnel que le bien endommagé puisse être réparé avec les matériaux d’origine. Par conséquent, il devra être reconstruit à neuf.
5.
Pour D. de Callatay et N. Estienne « Le problème est assurément délicat. Si on procède à un abattement pour prendre en considération la vétusté , on risque dans certains cas de ne pas permettre à la victime de réparer ou de faire l’acquisition d’un bien de remplacement , l’indemnité perçue étant inférieure au coût de remise en état ou prix d’achat d’un objet neuf. Au contraire, si on ne procède à aucune déduction , le sinistre peut dans une certaine mesure , devenir source d’enrichissement pour la victime . Dans le premier cas , le risque est de réparer moins que le dommage, tandis que dans le seconds cas, le risque est de réparer plus que le dommage » ( D. de Callatay et N. Estienne, La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence, 1996-2007, vol. 2 coll. Les dossiers du Journal des Tribunaux , n° 75, 2009, p.449)
Pour N. Estienne « La question est importante spécialement en matière immobilière où la déduction d’un coefficient de vétusté risque, si le propriétaire n’a pas de liquidités suffisantes, de l’empêcher de procéder à la reconstruction. Si l’on veut respecter le principe de la réparation intégrale, il faut écarter la déduction du coefficient de vétusté , à tout le moins lorsque la seule solution matériellement possible pour effacer le dommage est l’acquisition d’une chose neuve ou la remise à neuf » ( N. Estienne « L’évaluation judiciaire des indemnités : dommage aux choses » in Responsabilités – Traité théorique et pratique , titre 5, dossier 52, Kluwer, 2002, , n° 24 et s).
6.
La jurisprudence est restée partagée sur la question – statuant au cas par cas – tandis qu’une doctrine majoritaire dans le sud du Royaume était très critique pour appliquer un coefficient de vétusté.
Jusqu’en 2020, la position de la Cour de Cassation était de considérer que le dommage de la victime correspondait à la valeur réelle de la chose détruite.
En d’autres termes, l’évaluation du dommage prenait en compte l’état réel de la chose endommagée ou détruite, vétusté comprise ou lorsque la réparation procurait un enrichissement sans cause dans le chef de la victime.
Quelques décisions illustrent la division des cours et tribunaux sur l’appréciation du dommage compte-tenu de l’ampleur de la nature du sinistre.
Un jugement du 18 avril 2005 de la 6ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles refuse de déduite un coefficient de vétusté pour fixer l’indemnité devant revenir aux propriétaires d’un immeuble qui a dû être démoli à la suite d’un affaissement de terrain imputable à une commune : la reconstruction excluant « l’utilisation de matériaux vieillis ou de techniques anciennes », les personnes lésées peuvent obtenir « la contre-valeur de la construction à neuf , même si elles en retirent inévitablement un certaine enrichissement « , et le « responsable « ne peut exiger une compensation à raison n de cette plus-value ( Civ. Bruxelles, (6e ch) , 18 avril 2005, R.G.A.R. , 2007, n° 14.206 et note ; Dans le même sens , Civ. Bruxelles, 6e ch, 5 novembre 2013,JT 2013, n° 42, p. 6544 )
S’agissant d’un abattement de 15% retenu par l’expert judiciaire sur l’évaluation de la reconstruction d’un mur détruit par une voiture , Le tribunal de police de Hasselt refuse d’appliquer une vétusté après avoir constaté que si le mur était vieux , il remplissait pleinement sa fonction ( Pol. Hasselt, 19 octobre 1990, Dr. Circ. , n° 92/10)
A propos de la reconstruction d’un mur, le tribunal de commerce de Mons considère « en ce qui concerne les maçonneries, il apparaît impossible d’utiliser des matériaux présentant la même vétusté que ceux composant le mur endommagé. Au surplus, il n’apparaît pas que la reconstruction du mur apportera une plus-value technique ou économique dès lors que le nouveau mur ne remplira pas mieux sa fonction que l’ancien. Il n’y a donc pas lieu de déduire la vétusté en ce qui concerne les maçonneries. (Comm. Mons (2e ch) , 24 juin 1999, cité in B. Louveaux , « Inédits de droit de la construction » JLMB, 2001, pp 305-306 )
A l’inverse, la Cour d’Appel de Liège retient un coefficient de vétusté de 30% pour la réparation des carrelages d’une salle de bains ( Liège (3è ch ) , 14 septembre 1998, RAGAR 2000, n° 13.232).
Dans le cas d’un immeuble détruit suite à une explosion de gaz , la Cour d’Appel de Mons tient compte de la vétusté de l’immeuble pour retenir la valeur réelle permettant de déterminer le montant de la réparation
( Mons, 2e ch, 28 février 2017, inédit , RG n°, 2013/RG/1020 , cité par Ph. GALAND in « De l’opportunité d’appliquer un critère de vétusté en matière de réparation du dommages de choses », RGAR, 2019, n° 15564 ; Dans le même sens GAND, 22 novembre 1995, Bull. ass. 1997, p. 656 et obs) .
La Cour d’Appel de Gand applique une déduction de 25% sur le remplacement d’un volet , d’une gouttière et d’une boite aux lettres ( Gand, (13e ch) 22 novembre 1995, Bull. Ass. 1997,p. 656, obs )
7.
Dans un arrêt du 9 novembre 2017, la Cour d’Appel de Liège a retenu un coefficient de vétusté de 44% sur l’ensemble des travaux de reconstruction de l’immeuble suite à son effondrement après des travaux de terrassement.
La motivation de la Cour était fondée sur le rapport de l’expert judiciaire qui avait constaté un état général et antérieur des mortiers et des murs enterrés de l’immeuble sinistré.
En conséquence la Cour d’Appel a considéré que l’indemnité de reconstruction de 180.170,61 euros devait être diminuée de 44 pc pour tenir compte de la précarité des fondations.
Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi.
Par son arrêt du 17 septembre 2020 , la Cour de Cassation a annulé l’arrêt considérant qu’il violait le principe de réparation intégrale du dommage. ( Cass., 17 septembre 2020, C.18.0611.F)
La Cour de Cassation rappelle les principes de la responsabilité et de réparation du dommage : « celui, qui par sa faute a causé un dommage est tenue de la réparer et la victime a droit , en règle, à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi et que celui dont la chose est endommagée par un acte illicite a droit à la reconstruction de son patrimoine par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant le dit acte ».
Elle ajoute : « En règle, la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose «
8.
Dans un arrêt du 24 juin 2021, la Cour d’Appel de Liège ( chambre correctionnelle ) avait retenu une vétusté de 50 pc pour le renouvellement de la fenêtre et de la porte de balcon qui étaient déjà fortement usées ( maison délabrée).
La victime forme un pourvoi en cassation.
Par son arrêt du 2 mars 2022 ( P.21.1030.F. la Cour de Cassation annule cet arrêt au motif qu’il viole le principe de la réparation intégrale du dommage, confirmant ainsi sa position adoptée dans son arrêt du 17 septembre 2020 dans les mêmes termes.
9.
La dernière phrase « En règle, la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose » va faire couler beaucoup d’encre en doctrine dans le nord et le sud du Royaume.
(JL FAGNART : Note « La pratique de la déduction pour vétusté enfin condamnée », Forum de l’Assurance, 2020- n° 209, p. 1-6 ; Guillaume RUE, note « Faute de l’entrepreneur : pas de réduction d’indemnisation pour vétusté » ; Thierry VANSWEEVELT ; Britt WEYTS : Note interprétation stricte de la faute lourde dans le droit des assurances et réparation intégrale dans le droit de la responsabilité , même en cas de vétusté ; RGDC – 2022 , n° 2 p 104-112 ; Sébastien REY : Noot « Zaakschade : vergoeding van nieuwwaarde of aftrek wegens vetusteid ? Het Hof van Cassatie gaat om “ )
Avant de résumer les positions défendues en doctrine, il faut rappeler la position antérieure de la Cour de Cassation et en particulier des chambres néerlandophones ( Arrêts des 11 février 2016 et 5 octobre 2018 ) qui admettaient la prise en compte d’ un coefficient de vétusté pour limiter le dommage.
Pour la Cour de Cassation « la victime a donc droit à l’indemnisation de son dommage en valeur réelle , rien de moins mais également rien de plus. En d’autres mots, l’indemnisation de la victime ne peut lui procurer un enrichissement ce qui serait prima facie le cas si il n’était pas tenu compte dans l’évaluation de l’indemnité d’un certain degré de vétusté en lui préférant une estimation en valeur à neuf « Ph. GALAND, op cit. ).
10.
Ces arrêts ont été critiqués par une doctrine majoritaire et notamment par le professeur Roger DACLQ qui écrit que si le seul moyen de réparer intégralement le dommage nécessite le remplacement de l’ancien par du neuf , le bénéfice que pourrait en retirer la victime doit lui rester acquis , même si cela doit entrainer un appauvrissement du responsable.
Ce dernier justifiait sa position ainsi : « … l’enrichissement de la victime n’est pas sans cause : il n’est pas injuste, parce qu’il trouve sa cause dans l’acte illicite du responsable et dans l’obligation de réparer le dommage qu’il a causé » ( R.O. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, t II, Bruxelles, Larcier, 1962, n° 3481)
Le professeur émérite Jean-Luc FAGNART de l’Université libre de Bruxelles estime que c’est à tort que des tribunaux appliquent un coefficient de vétusté pour le motif que l’indemnisation doit compenser la diminution de la valeur intrinsèque du patrimoine de la victime .
Pour ce dernier « cette idée est erronée car la réparation du dommage n’est pas une opération comptable théorique : l’indemnité doit permettre à la victime d’obtenir effectivement un objet semblable à l’objet détruit ou détérioré ».
Et de poursuivre « le respect du principe de la réparation intégrale impose d’écarter la déduction de tout coefficient de vétusté , car une telle déduction risque, si le propriétaire de dispose pas de liquidité suffisante , de l’empêcher de procéder à la reconstruction du bien détruit ou au remplacement de celui-ci. La déduction d’un coefficient de vétusté est la négation de la réparation intégrale du dommage » ( J-L FAGNART « Plus-value et moins-value à la réparation d’une chose endommagée ou du remplacement d’une chose endommagée ou perdue » For. Ass., 2013, n° 134, pp 85 et s. avec référence à la jurisprudence et à la doctrine française en ce sens )
- de REY et N. ESTIENNE rejoignent cette position. ( S. De rey, « Nieuw voor Oud : Het verbod op vetusteit aftrek”, note sous Cassation , 11 février 2016, R.G.D.C, 2017/03, pp 185 et s ; N. Estienne, op. cit.)
A l’inverse, une partie minoritaire de la doctrine considère que ce principe doit être tempéré en fonction des circonstances de l’espèce.
Ainsi ce principe recevrait exception :
- en cas de disproportion entre les avantages pour le créancier et les désavantages subis par le débiteur.
- En l’absence de disproportion , en cas d’économie pour le créancier qui devait s’attendre à devoir supporter des frais de réparation ou de remplacement même si la faute n’a pas été commise ;
- Si la chose à réparer ou à remplacer se trouvait avent le fait dommageable dans un état d’abandon ou de mauvais entretien du fait de la négligence de son propriétaire.
Dans ces trois cas, l’application d’un coefficient de vétusté pourrait être appliqué ( S. De Rey, op. cit..
11.
Suite aux arrêts des 17 septembre 2020 et 20 mars 2022 , la doctrine reste divisée sur l’application ou non d’un coefficient de vétusté en raison de la formulation de la Cour de Cassation.
Pour le professeur émérite Jean-Luc FAGNART de l’Université Libre de Bruxelles , « l’arrêt de la Cour de Cassation du 17 septembre 2020 consacre la prééminence du principe de la réparation intégrale, avec toutes ses conséquences pratiques, sur la crainte , exprimée par certains , d’un risque d’enrichissement sans cause dans le chef de la victime ».
Et de poursuivre « cette crainte est juridiquement infondée. La réparation n’est pas une opération comptable. C’est la mise en œuvre de moyens très concrets. La victime avait un bien dont elle pouvait se servir. La réparation consiste à faire ce qu’il faut pour que la victime puisse à nouveau disposer d’un bien dont elle se servira de la même façon. Le mur détruit était fait de vieilles briques. Personne ne fabrique des vieilles briques. Il faut donc reconstruire le mur avec des briques neuves ».
Et de conclure « On peut donc considérer que c’est par un arrêt de principe que la Cour de Cassation a condamné la pratique de la déduction d’un coefficient de vétusté » ( J-L FAGNART : Note « La pratique de la déduction pour vétusté enfin condamnée », Forum de l’Assurance, 2020- n° 209, p. 1-6
12.
A l’inverse, les professeurs Thierry VANSWEEVELT et Britt WEYTS de l’Université d’Anvers, déduisent du terme « En règle » mentionné dans les arrêts de 2020 et 2022 , que la Cour de Cassation n’exclut pas des exceptions au principe de réparation intégrale du dommage.
Pour ces auteurs, la vétusté devrait être prise en compte en cas de disposition légale ou d’une clause contractuelle dérogatoire – ce qui n’est que l’exécution du contrat.
La vétusté pourrait encore être retenue en cas d’abus de droit , de disproportion entre l’avantage retiré par le créancier et le désavantage subi par le débiteur; de discrimination ou d’enrichissement ( par exemple en cas de défaut d’entretien du bien par la victime).
Ces notions renvoient à des principes ou règles de droit qui répondent à des conditions précises difficiles à appréhender pour le citoyen lambda, voire pour les professionnels de la construction.
Pour ces auteurs , il s’agit de piste ou d’option pour permettre aux juridictions du fond – qui statuent au cas par cas – de motiver leur décision en droit et le cas échéant de s’écarter de la règle de la réparation intégrale du dommage consacrée par les deux arrêts de la Cour de Cassation du 17 septembre 2020 et 2 mars 2022.
13.
En fonction des intérêts des parties, il est entendu que la position des parties ira dans le sens de la jurisprudence ou de la doctrine la plus avantageuse à la défense de leur intérêt – ce qui ne facilitera pas le règlement des litiges sauf à privilégier la voie du règlement amiable.
Cet article n’avait pour prétention de donner de solutions mais de susciter la réflexion sur une problématique qui fait toujours débats.
Article publié par Philippe DELMARCELLE dans la revue Architrave n° 213 de décembre 2022
1.
En cours d’exécution de travaux de rénovation, un entrepreneur endommage le mur d’entrée de la propriété voisine lors de la dépose d’un container. Si la responsabilité de l’entrepreneur n’est pas contestée, le montant de l’indemnisation évaluée à 10.000 euros est discutée par les parties et les experts.
Ce mur construit dans les années 50 ne présentait aucun signe tels que fissure, affaissement qui aurait permis de retenir une faiblesse au nouveau de sa stabilité ou un défaut d’entretien. En d’autres termes, il était en parfait état et assurait parfaitement sa fonction.
La victime demande la reconstruction du mur à l’identique tandis que l’entrepreneur et son assureur estiment que vu l’ancienneté du mur, il y a lieu d’appliquer un taux de vétusté de 50 pc avec comme conséquence que la victime doit supporter un montant de 5000,00 euros .
Au regard de l’âge de ce mur, il serait logique de retenir un taux de vétusté, la victime se retrouvant avec un mur neuf.
2.
En tant que professionnels de la construction, vous êtes souvent confrontés à cette situation et aux difficultés pour évaluer le dommage.
On parlera de vétusté, de moins/plus -value, de valeur à neuf, de valeur réelle, de valeur vénale, d’amortissement mais également de réceptivité ou de prédisposition.
Ces termes sont définis dans le langage courant mais également financier, comptable.
Ils prêtent également à confusion.
Ainsi la vétusté qui fait l’objet de cet article n’est pas synonyme de la réception ou de la prédisposition d’un immeuble à subir certaines dommages.
3.
En droit, la réponse est plus nuancée au regard des principes de la responsabilité et de la réparation du dommage.
Je rappelle ces principes qui sont les piliers de notre droit de la responsabilité.
L’auteur de la faute qui a causé le dommage, doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage.
Cette règle s’applique en cas de responsabilité aussi bien quasi-délictuelle ( article 1382 du code civil ) que contractuelle ( art. 1147 code et suivant de l’ancien code civil ).
L’article 1382 du Code civil oblige celui par la faute duquel un dommage est arrivé à autrui à le réparer.
L’ancien article 1147 et suivants du code civil énonce que le débiteur d’une obligation est condamné si il y a lieu à des dommages et intérêts en raison de l’inexécution de cette obligation ou en raison du retard apporté à cette exécution. Les dommages et intérêts sont en général de la perte faite par le créancier et du bien dont il a été privé sauf exception prévue par la loi
Le principe est que la victime a droit à la réparation intégrale de son dommage ( Cass. , 17 janvier 1929, Pas. 1929, I, p 63 ).
Ce principe est repris à l’article 5.237 du nouveau Code civil et à l’article XVII.72 du Code de droit économique.
L’article 5.237 indique « En cas d’inexécution imputable au débiteur , celui-ci est tenu de réparer intégralement , en nature ou sous forme pécuniaire, le dommage subi par le créancier.
Les articles 1382 à 1386 bis de l’ancien code civil sont d’application conforme à moins que leur nature et leur portée ne soient incompatibles avec une telle application ».
Pour la Cour de Cassation « le dommage dont la réparation est due, consiste non point dans la privation pour la victime du prix de la chose mais dans la privation de la chose elle-même ( Cass. , 28 septembre 1994, Pas. 1994, I, 774 )
4.
En d’autres termes, la victime doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage ne s’était pas produit.
En matière immobilière, la réparation d’un immeuble neuf ne pose en général pas de difficulté .
En revanche, se pose la question de la réparation intégrale du dommage en cas de réparations ou de reconstruction d’une construction ancienne.
Pour les immeubles, il est exceptionnel que le bien endommagé puisse être réparé avec les matériaux d’origine. Par conséquent, il devra être reconstruit à neuf.
5.
Pour D. de Callatay et N. Estienne « Le problème est assurément délicat. Si on procède à un abattement pour prendre en considération la vétusté , on risque dans certains cas de ne pas permettre à la victime de réparer ou de faire l’acquisition d’un bien de remplacement , l’indemnité perçue étant inférieure au coût de remise en état ou prix d’achat d’un objet neuf. Au contraire, si on ne procède à aucune déduction , le sinistre peut dans une certaine mesure , devenir source d’enrichissement pour la victime . Dans le premier cas , le risque est de réparer moins que le dommage, tandis que dans le seconds cas, le risque est de réparer plus que le dommage » ( D. de Callatay et N. Estienne, La responsabilité civile – Chronique de jurisprudence, 1996-2007, vol. 2 coll. Les dossiers du Journal des Tribunaux , n° 75, 2009, p.449)
Pour N. Estienne « La question est importante spécialement en matière immobilière où la déduction d’un coefficient de vétusté risque, si le propriétaire n’a pas de liquidités suffisantes, de l’empêcher de procéder à la reconstruction. Si l’on veut respecter le principe de la réparation intégrale, il faut écarter la déduction du coefficient de vétusté , à tout le moins lorsque la seule solution matériellement possible pour effacer le dommage est l’acquisition d’une chose neuve ou la remise à neuf » ( N. Estienne « L’évaluation judiciaire des indemnités : dommage aux choses » in Responsabilités – Traité théorique et pratique , titre 5, dossier 52, Kluwer, 2002, , n° 24 et s).
6.
La jurisprudence est restée partagée sur la question – statuant au cas par cas – tandis qu’une doctrine majoritaire dans le sud du Royaume était très critique pour appliquer un coefficient de vétusté.
Jusqu’en 2020, la position de la Cour de Cassation était de considérer que le dommage de la victime correspondait à la valeur réelle de la chose détruite.
En d’autres termes, l’évaluation du dommage prenait en compte l’état réel de la chose endommagée ou détruite, vétusté comprise ou lorsque la réparation procurait un enrichissement sans cause dans le chef de la victime.
Quelques décisions illustrent la division des cours et tribunaux sur l’appréciation du dommage compte-tenu de l’ampleur de la nature du sinistre.
Un jugement du 18 avril 2005 de la 6ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles refuse de déduite un coefficient de vétusté pour fixer l’indemnité devant revenir aux propriétaires d’un immeuble qui a dû être démoli à la suite d’un affaissement de terrain imputable à une commune : la reconstruction excluant « l’utilisation de matériaux vieillis ou de techniques anciennes », les personnes lésées peuvent obtenir « la contre-valeur de la construction à neuf , même si elles en retirent inévitablement un certaine enrichissement « , et le « responsable « ne peut exiger une compensation à raison n de cette plus-value ( Civ. Bruxelles, (6e ch) , 18 avril 2005, R.G.A.R. , 2007, n° 14.206 et note ; Dans le même sens , Civ. Bruxelles, 6e ch, 5 novembre 2013,JT 2013, n° 42, p. 6544 )
S’agissant d’un abattement de 15% retenu par l’expert judiciaire sur l’évaluation de la reconstruction d’un mur détruit par une voiture , Le tribunal de police de Hasselt refuse d’appliquer une vétusté après avoir constaté que si le mur était vieux , il remplissait pleinement sa fonction ( Pol. Hasselt, 19 octobre 1990, Dr. Circ. , n° 92/10)
A propos de la reconstruction d’un mur, le tribunal de commerce de Mons considère « en ce qui concerne les maçonneries, il apparaît impossible d’utiliser des matériaux présentant la même vétusté que ceux composant le mur endommagé. Au surplus, il n’apparaît pas que la reconstruction du mur apportera une plus-value technique ou économique dès lors que le nouveau mur ne remplira pas mieux sa fonction que l’ancien. Il n’y a donc pas lieu de déduire la vétusté en ce qui concerne les maçonneries. (Comm. Mons (2e ch) , 24 juin 1999, cité in B. Louveaux , « Inédits de droit de la construction » JLMB, 2001, pp 305-306 )
A l’inverse, la Cour d’Appel de Liège retient un coefficient de vétusté de 30% pour la réparation des carrelages d’une salle de bains ( Liège (3è ch ) , 14 septembre 1998, RAGAR 2000, n° 13.232).
Dans le cas d’un immeuble détruit suite à une explosion de gaz , la Cour d’Appel de Mons tient compte de la vétusté de l’immeuble pour retenir la valeur réelle permettant de déterminer le montant de la réparation
( Mons, 2e ch, 28 février 2017, inédit , RG n°, 2013/RG/1020 , cité par Ph. GALAND in « De l’opportunité d’appliquer un critère de vétusté en matière de réparation du dommages de choses », RGAR, 2019, n° 15564 ; Dans le même sens GAND, 22 novembre 1995, Bull. ass. 1997, p. 656 et obs) .
La Cour d’Appel de Gand applique une déduction de 25% sur le remplacement d’un volet , d’une gouttière et d’une boite aux lettres ( Gand, (13e ch) 22 novembre 1995, Bull. Ass. 1997,p. 656, obs )
7.
Dans un arrêt du 9 novembre 2017, la Cour d’Appel de Liège a retenu un coefficient de vétusté de 44% sur l’ensemble des travaux de reconstruction de l’immeuble suite à son effondrement après des travaux de terrassement.
La motivation de la Cour était fondée sur le rapport de l’expert judiciaire qui avait constaté un état général et antérieur des mortiers et des murs enterrés de l’immeuble sinistré.
En conséquence la Cour d’Appel a considéré que l’indemnité de reconstruction de 180.170,61 euros devait être diminuée de 44 pc pour tenir compte de la précarité des fondations.
Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi.
Par son arrêt du 17 septembre 2020 , la Cour de Cassation a annulé l’arrêt considérant qu’il violait le principe de réparation intégrale du dommage. ( Cass., 17 septembre 2020, C.18.0611.F)
La Cour de Cassation rappelle les principes de la responsabilité et de réparation du dommage : « celui, qui par sa faute a causé un dommage est tenue de la réparer et la victime a droit , en règle, à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi et que celui dont la chose est endommagée par un acte illicite a droit à la reconstruction de son patrimoine par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant le dit acte ».
Elle ajoute : « En règle, la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose «
8.
Dans un arrêt du 24 juin 2021, la Cour d’Appel de Liège ( chambre correctionnelle ) avait retenu une vétusté de 50 pc pour le renouvellement de la fenêtre et de la porte de balcon qui étaient déjà fortement usées ( maison délabrée).
La victime forme un pourvoi en cassation.
Par son arrêt du 2 mars 2022 ( P.21.1030.F. la Cour de Cassation annule cet arrêt au motif qu’il viole le principe de la réparation intégrale du dommage, confirmant ainsi sa position adoptée dans son arrêt du 17 septembre 2020 dans les mêmes termes.
9.
La dernière phrase « En règle, la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose » va faire couler beaucoup d’encre en doctrine dans le nord et le sud du Royaume.
(JL FAGNART : Note « La pratique de la déduction pour vétusté enfin condamnée », Forum de l’Assurance, 2020- n° 209, p. 1-6 ; Guillaume RUE, note « Faute de l’entrepreneur : pas de réduction d’indemnisation pour vétusté » ; Thierry VANSWEEVELT ; Britt WEYTS : Note interprétation stricte de la faute lourde dans le droit des assurances et réparation intégrale dans le droit de la responsabilité , même en cas de vétusté ; RGDC – 2022 , n° 2 p 104-112 ; Sébastien REY : Noot « Zaakschade : vergoeding van nieuwwaarde of aftrek wegens vetusteid ? Het Hof van Cassatie gaat om “ )
Avant de résumer les positions défendues en doctrine, il faut rappeler la position antérieure de la Cour de Cassation et en particulier des chambres néerlandophones ( Arrêts des 11 février 2016 et 5 octobre 2018 ) qui admettaient la prise en compte d’ un coefficient de vétusté pour limiter le dommage.
Pour la Cour de Cassation « la victime a donc droit à l’indemnisation de son dommage en valeur réelle , rien de moins mais également rien de plus. En d’autres mots, l’indemnisation de la victime ne peut lui procurer un enrichissement ce qui serait prima facie le cas si il n’était pas tenu compte dans l’évaluation de l’indemnité d’un certain degré de vétusté en lui préférant une estimation en valeur à neuf « Ph. GALAND, op cit. ).
10.
Ces arrêts ont été critiqués par une doctrine majoritaire et notamment par le professeur Roger DACLQ qui écrit que si le seul moyen de réparer intégralement le dommage nécessite le remplacement de l’ancien par du neuf , le bénéfice que pourrait en retirer la victime doit lui rester acquis , même si cela doit entrainer un appauvrissement du responsable.
Ce dernier justifiait sa position ainsi : « … l’enrichissement de la victime n’est pas sans cause : il n’est pas injuste, parce qu’il trouve sa cause dans l’acte illicite du responsable et dans l’obligation de réparer le dommage qu’il a causé » ( R.O. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, t II, Bruxelles, Larcier, 1962, n° 3481)
Le professeur émérite Jean-Luc FAGNART de l’Université libre de Bruxelles estime que c’est à tort que des tribunaux appliquent un coefficient de vétusté pour le motif que l’indemnisation doit compenser la diminution de la valeur intrinsèque du patrimoine de la victime .
Pour ce dernier « cette idée est erronée car la réparation du dommage n’est pas une opération comptable théorique : l’indemnité doit permettre à la victime d’obtenir effectivement un objet semblable à l’objet détruit ou détérioré ».
Et de poursuivre « le respect du principe de la réparation intégrale impose d’écarter la déduction de tout coefficient de vétusté , car une telle déduction risque, si le propriétaire de dispose pas de liquidité suffisante , de l’empêcher de procéder à la reconstruction du bien détruit ou au remplacement de celui-ci. La déduction d’un coefficient de vétusté est la négation de la réparation intégrale du dommage » ( J-L FAGNART « Plus-value et moins-value à la réparation d’une chose endommagée ou du remplacement d’une chose endommagée ou perdue » For. Ass., 2013, n° 134, pp 85 et s. avec référence à la jurisprudence et à la doctrine française en ce sens )
- de REY et N. ESTIENNE rejoignent cette position. ( S. De rey, « Nieuw voor Oud : Het verbod op vetusteit aftrek”, note sous Cassation , 11 février 2016, R.G.D.C, 2017/03, pp 185 et s ; N. Estienne, op. cit.)
A l’inverse, une partie minoritaire de la doctrine considère que ce principe doit être tempéré en fonction des circonstances de l’espèce.
Ainsi ce principe recevrait exception :
- en cas de disproportion entre les avantages pour le créancier et les désavantages subis par le débiteur.
- En l’absence de disproportion , en cas d’économie pour le créancier qui devait s’attendre à devoir supporter des frais de réparation ou de remplacement même si la faute n’a pas été commise ;
- Si la chose à réparer ou à remplacer se trouvait avent le fait dommageable dans un état d’abandon ou de mauvais entretien du fait de la négligence de son propriétaire.
Dans ces trois cas, l’application d’un coefficient de vétusté pourrait être appliqué ( S. De Rey, op. cit..
11.
Suite aux arrêts des 17 septembre 2020 et 20 mars 2022 , la doctrine reste divisée sur l’application ou non d’un coefficient de vétusté en raison de la formulation de la Cour de Cassation.
Pour le professeur émérite Jean-Luc FAGNART de l’Université Libre de Bruxelles , « l’arrêt de la Cour de Cassation du 17 septembre 2020 consacre la prééminence du principe de la réparation intégrale, avec toutes ses conséquences pratiques, sur la crainte , exprimée par certains , d’un risque d’enrichissement sans cause dans le chef de la victime ».
Et de poursuivre « cette crainte est juridiquement infondée. La réparation n’est pas une opération comptable. C’est la mise en œuvre de moyens très concrets. La victime avait un bien dont elle pouvait se servir. La réparation consiste à faire ce qu’il faut pour que la victime puisse à nouveau disposer d’un bien dont elle se servira de la même façon. Le mur détruit était fait de vieilles briques. Personne ne fabrique des vieilles briques. Il faut donc reconstruire le mur avec des briques neuves ».
Et de conclure « On peut donc considérer que c’est par un arrêt de principe que la Cour de Cassation a condamné la pratique de la déduction d’un coefficient de vétusté » ( J-L FAGNART : Note « La pratique de la déduction pour vétusté enfin condamnée », Forum de l’Assurance, 2020- n° 209, p. 1-6
12.
A l’inverse, les professeurs Thierry VANSWEEVELT et Britt WEYTS de l’Université d’Anvers, déduisent du terme « En règle » mentionné dans les arrêts de 2020 et 2022 , que la Cour de Cassation n’exclut pas des exceptions au principe de réparation intégrale du dommage.
Pour ces auteurs, la vétusté devrait être prise en compte en cas de disposition légale ou d’une clause contractuelle dérogatoire – ce qui n’est que l’exécution du contrat.
La vétusté pourrait encore être retenue en cas d’abus de droit , de disproportion entre l’avantage retiré par le créancier et le désavantage subi par le débiteur; de discrimination ou d’enrichissement ( par exemple en cas de défaut d’entretien du bien par la victime).
Ces notions renvoient à des principes ou règles de droit qui répondent à des conditions précises difficiles à appréhender pour le citoyen lambda, voire pour les professionnels de la construction.
Pour ces auteurs , il s’agit de piste ou d’option pour permettre aux juridictions du fond – qui statuent au cas par cas – de motiver leur décision en droit et le cas échéant de s’écarter de la règle de la réparation intégrale du dommage consacrée par les deux arrêts de la Cour de Cassation du 17 septembre 2020 et 2 mars 2022.
13.
En fonction des intérêts des parties, il est entendu que la position des parties ira dans le sens de la jurisprudence ou de la doctrine la plus avantageuse à la défense de leur intérêt – ce qui ne facilitera pas le règlement des litiges sauf à privilégier la voie du règlement amiable.
Cet article n’avait pour prétention de donner de solutions mais de susciter la réflexion sur une problématique qui fait toujours débats.