Article publié par Me JP VERGAUWE dans la revue Architrave du mois de mars 2008
Les questions liées à la fixation et au respect du budget d’un programme de construction ou de rénovation ont toujours attiré l’attention des praticiens et plus encore en ces temps de crise.
1° L’obligation de l’architecte
Le devoir de conseil de l’architecte à l’égard du maître de l’ouvrage lui impose des obligations précises que l’on peut résumer comme suit :
a. Dès les premiers contacts préliminaires et préparatoires au développement éventuel d’un projet immobilier, l’architecte doit se préoccuper du budget et éclairer son client en posant au moins deux questions :
1. quelle sera la dépense présumée du projet,
2. quelles seront les disponibilités financières du client (fonds propres, emprunt, primes, etc…) et à quel moment ses engagements pourront être tenus.
Les réponses à ces questions s’affineront au cours des travaux préparatoires, notamment dans le cadre de l’avant-projet et permettront de présenter un projet qui s’inscrit dans les limites budgétaires du client.
b. Le contrat d’architecture doit normalement contenir l’indication d’un budget, même donné à titre provisoire et sans engagement définitif ; en effet, la dépense réelle ne sera connue que lors de l’adjudication.
c. Au cours des opérations de soumission, l’architecte analyse et compare les offres, notamment quant aux prix proposés par les entrepreneurs. Il conclut cette analyse par un rapport qui permet au maître de l’ouvrage de procéder à l’adjudication.
d. Au cours de l’exécution des travaux, l’architecte veillera à faire respecter le budget.
A l’égard du maître de l’ouvrage il veillera notamment à faire confirmer par écrit les incidences éventuelles que des modifications pourront avoir sur l’évolution du budget et, à l’égard de l’entrepreneur il validera les états d’avancement que lui communiquera l’entrepreneur avant que celui-ci n’établisse la facture et que le maître de l’ouvrage n’effectue le paiement.
e. Au cours des opérations de réception l’architecte assistera son client pour l’établissement des décomptes finaux et des retenues éventuelles.
2° Quelques questions particulières
a. Quelle est la responsabilité de l’architecte en cas de dépassement de budget ?
Cette responsabilité est reconnue par la jurisprudence, en tout cas au-delà d’un seuil de tolérance que l’on fixe généralement à environ 10% d’augmentation par rapport à l’estimation de base.
Un dépassement budgétaire permet au maître de l’ouvrage d’obtenir la résolution du contrat et le remboursement des acomptes payés en raison des prestations inutiles.
Certaines décisions de jurisprudence reconnaissent même le droit pour le maître de l’ouvrage de se faire rembourser les frais exposés en raison d’une information erronée que leur a donnée l’architecte sans en retirer aucun avantage (cf. notamment l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 14 octobre 1994, JLMB 94/149).
En outre, l’architecte fautif pourrait se voir condamner à rembourser les frais supplémentaires provoqués notamment par une succession d’architecte.
Toutefois, lorsque le dépassement du budget résulte d’une omission ou d’une erreur de conception, le maître de l’ouvrage devra supporter l’investissement qu’il aurait dû consentir initialement si le projet avait été conçu correctement ; cependant, le surcoût engendré par les adaptations a posteriori restera à charge de l’architecte responsable.
b. Le contrat d’architecture doit-il nécessairement mentionner un budget déterminé ?
Autrement dit, le contrat peut-il être annulé à défaut de précision quant au budget ?
La question est controversée en jurisprudence et en doctrine.
Certains considèrent que la fixation du budget relève de l’objet même du contrat d’architecture (cf. le contrat d’entreprise chronique de jurisprudence 1990-2000, M.A. FLAMME, Ph. FLAMME, A. DELVAUX, F. POTTIER, Le dossier du Journal des Tribunaux, p. 101).
Certaines décisions annulent, en effet, le contrat d’architecture si ce dernier ne contient pas un budget déterminé.
Cependant, dans un arrêt récent du 4 novembre 2004 (rôle C020623F), la Cour de Cassation rappelle tout d’abord qu’en vertu de l’article 1108 du Code civil, l’existence d’un objet certain formant la matière de l’engagement est une condition essentielle à la validité d’une convention et que suivant l’article 1129 du même Code, cet objet doit être déterminé ou déterminable.
Cependant la Cour ajoute : « du seul fait que les parties à un contrat d’architecture n’ont pas fixé, lors de sa conclusion, le budget de l’ouvrage ainsi que le montant des honoraires ou le mode de calcul de ceux-ci, il ne se déduit pas que la dite convention n’a pas un objet déterminé ou déterminable ».
La Cour de Cassation reconnait, d’autre part, que si des obligations déontologiques s’imposent à l’architecte en matière de budget et d’honoraires, celles-ci n’ont pas pour effet d’ériger ces éléments en éléments essentiels du contrat d’architecture.
c. L’architecte peut-il s’engager à une obligation de résultat ou de garantie concernant le respect du budget ?
En principe les obligations de l’architecte sont de moyen et non de résultat.
On sait cependant que certains architectes et non des moindres acceptent, par contrat, de s’engager à l’égard de maîtres d’ouvrage professionnels et de promoteurs immobiliers à une obligation de résultat ainsi libellée : « l’architecte assume, dans l’exécution de sa mission, une obligation de résultat au terme de laquelle il s’engage à respecter les budgets des travaux arrêtés de commun accord entre lui et le maître de l’ouvrage et à prendre toutes dispositions utiles de manière telle que l’avancement des études ne perturbe pas le déroulement prévu du chantier ».
Un tel engagement va manifestement au-delà de ce qui est généralement exigé de l’architecte et il n’est pas certain que les compagnies d’assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle de l’architecte accepteraient de couvrir une telle obligation de résultat.
Une confirmation écrite préalable de la compagnie d’assurance serait en tout cas une précaution indispensable.
Cela étant, l’obligation de moyen de l’architecte l’incitera, comme indiqué ci-avant, à la plus grande prudence dans le respect du budget en cours d’exécution, notamment en veillant à ce que le maître de l’ouvrage effectue les retenues suffisantes pour garantir la parfaite exécution et en incitant le maître de l’ouvrage à bloquer tout paiement lorsque l’entrepreneur montre des signes évidents de défaillance.