Article publié  dans la revue Arch-index.fr d'avril-mai et juin 2011 - n° 12

 

La question du rôle et de la place de l’architecte revient périodiquement sous les feux de l’actualité en raison de l’évolution des mentalités et des techniques.

 

1.

Dans le passé, l’intervention de l’ingénieur de stabilité avait déjà suscité beaucoup d’interrogations quant aux conséquences de cette irruption sur la mission et les responsabilités de l’architecte.

Une partie de la doctrine considérait qu’en vertu du monopole légal de l’article 4 de la loi du 20 février 1939, il n’était pas possible pour l’architecte de déléguer sa mission, même partiellement car l’architecte est considéré comme le garant de la qualité du bâti, ce qui justement justifie son monopole d’exercice. Suivant cette théorie, la plénitude de la conception et du contrôle de l’exécution des travaux revient exclusivement à l’architecte pour tous les éléments qui composent la construction, sans exception.

D’autres auteurs cependant estimaient qu’il convient d’aborder cette question avec bon sens et réalisme ; la formation de l’architecte ne lui permet pas de maîtriser toutes les techniques spéciales ;  on ne peut lui demander de vérifier et contrôler les calculs de l’ingénieur dès lors qu’il ne possède pas la formation requise en matière de techniques spéciales.  Il peut donc s’appuyer sur les compétences de ces spécialistes choisis sur base d’une légitime confiance.

La Cour de cassation trancha ce débat par son célèbre arrêt du 3 mars 1978, confirmant que l’architecte peut valablement déléguer une partie de sa mission et des responsabilités qui s’y attachent à des spécialistes compétents ;  toutefois, cette délégation est soumise à des conditions strictes : la compétence du technicien choisi, la responsabilité maintenue dans le chef de l’architecte en ce qui concerne l’intégration des études techniques à l’ensemble architectural, la responsabilité résiduaire de l’architecte (tout ce qui n’est pas formellement délégué reste dans le giron de l’architecte).

En outre, l’architecte sera tenu responsable des erreurs des spécialistes qu’il aurait pu prévenir ou dénoncer grâce à ses connaissances personnelles.

 

2.

Ces dernières années, de nouvelles règlementations ont imposé de nouveaux acteurs dans le champ conceptuel de la construction ; citons deux exemples :

– Le coordinateur sécurité santé dont l’intervention est requise dès le début de la phase conceptuelle ;

– en matière de PEB : le conseiller ( en Région bruxelloise) et les responsables, facilitateurs et certificateurs ( en Région wallonne).

Concernant la PEB, une autre question cruciale se pose concernant la nature des responsabilités engagées ; s’agit-il d’une obligation de moyens (telle qu’elle s’impose à l’architecte en général) ou d’une obligation de résultat, ce qui pourrait se comprendre au regard des performances annoncées et même prescrites.

Le créancier d’une obligation de moyens doit démontrer la faute commise par le débiteur de l’obligation tandis que l’obligation de résultat non satisfaite engage automatiquement la responsabilité du débiteur.

 

La construction aujourd’hui doit répondre à des exigences technologiques de plus en plus diverses et performantes ; protection de l’environnement, performances énergétiques, sécurité des équipements, etc.

La consultation de plus en plus fréquente d’un architecte d’intérieur pose également la question de la répartition de mission – et des honoraires – entre l’architecte et l’architecte d’intérieur.

 

Comment justifier que l’architecte applique le taux de ses honoraires sur des éléments de construction qu’il n’a pas conçus ?

La réponse est multiple : d’une part l’architecte ne peut se désintéresser de ces éléments qu’il doit intégrer à l’ensemble.  D’autre part, il est et reste responsable en cas de dommage subis par ces éléments et son assurance le couvre à cet égard.

Comme on le voit la défense de l’architecte dans ce débat se fonde sur une vision recadrée du rôle de généraliste de l’architecte.

 

L’évolution rappelée ci-avant, accompagnée d’un réel changement des mentalités, invite l’architecte à redéfinir sa mission et redéployer ses responsabilités ; sa formation dicte ses compétences et donc la limite raisonnable de ses responsabilités.

L’architecte conçoit des espaces et des volumes, voilà sa réelle spécificité.

De plus, il exerce une mission de pilotage de l’opération de construction : respect du programme et du budget, intégration harmonieuse de toutes les techniques à l’ensemble architectural.

Enfin, l’architecte est le conseiller de son client maître d’ouvrage, a fortiori lorsque ce dernier est profane ou inexpérimenté : accompagnateur, facilitateur (notamment auprès des administrations) et parfois coach de son client.

Cette mission de généraliste est paradoxalement devenue d’une spécialité : l’architecte ne doit pas tout savoir mais il doit savoir qu’il ne sait pas.

 

3.

A plusieurs reprises depuis plusieurs années, j’ai plaidé pour une redéfinition du monopole légal et surtout une révision de l’article 6 de la Loi du 20 février 1939 qui impose une incompatibilité entre les professions d’architecte et d’entrepreneur.

Le monopole est-il encore d’actualité dès lors que la mission architecturale, telle qu’elle était comprise en 1939, s’est émiettée pour être répartie entre l’architecte et les spécialistes des techniques de construction, sachant que ces spécialistes sont normalement invités à contrôler les travaux et ouvrages qu’ils ont conçus ou prescrits.

Cette question rejoint la réflexion plus générale  quant à la justification et l’opportunité d’un monopole d’exercice de la profession d’architecte ;  on le sait, certains pays européens ne connaissent pas ce monopole légal sans pour autant que l’architecture qui s’y pratique soit moins qualitative.

D’autre part, certains soulignent l’effet pervers du monopole qui contraint le citoyen à recourir aux services d’un architecte sans toujours bien en comprendre la pertinence !

Le monopole devrait s’appuyer sur une sérieuse éducation élémentaire du citoyen, menée dès l’école primaire, en matière d’urbanisme et d’architecture, afin de mieux lui faire comprendre l’importance du rôle de l’architecte dans notre société.

Il ne faut pas se méprendre : revisiter le monopole légal de l’architecte ne signifie pas que son intervention serait considérée comme facultative ; au contraire, cette intervention reste indispensable et doit être légalement confirmée mais elle devrait être mieux ciblée.

D’autre part, cette nécessaire intervention devrait bien entendu être réservée aux architectes porteurs du titre et inscrits à l’Ordre.

Quant à l’incompatibilité de l’article 6 de la loi du 20 février 1939, il s’agit en quelque sorte du prix payé par les architectes pour leur monopole mais cette disposition d’ordre public est ressentie par beaucoup comme un  frein à leur développement.

Considéré comme une profession libérale – ce qu’il est et doit rester assurément- l’architecte ne doit pas pour autant être définitivement exclu de débouchés professionnels pour lesquels il dispose d’atouts certains.

On pense notamment à une  forme  de promotion immobilière.

Du reste, il ne faut pas se voiler la face : Chacun sait que plusieurs architectes – et non des moindres ! –  se livrent peu ou prou directement ou non à ce qu’il est bien convenu d’appeler une promotion immobilière, même à titre occasionnel…

Si on veut un architecte performant, il faut lui en donner les moyens et le libérer des carcans surannés.

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