Article publié par Maître Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue Architrave de mai 2015

 

La Cour d’appel de Liège a rendu un arrêt le 27 mars 2014 (références : Justel F-20140327-17) concernant la phase préparatoire de la mission architecturale.

Les faits peuvent être résumés comme suit.

Courant 2008, les époux G.J. confient à un bureau d’architecture un projet de construction d’un immeuble à appartements sur un terrain dont ils étaient propriétaires à Arlon.

Aucun contrat écrit n’a été établi.

Le maître de l’ouvrage reçoit une note d‘honoraires le 8 septembre 2009 intitulée « première tranche : avant-projet » d’un montant de € 13.915,00  tva comprise suite à laquelle le maître de l’ouvrage verse, à titre d’acompte, € 9.000,00.

En février 2010 l’architecte sollicite auprès de l’administration communale un certificat d’urbanisme n° 2 (CU2) et le 20 août 2010 le Collège communal rend un avis défavorable au projet, après consultation du Fonctionnaire délégué qui rend également un avis défavorable.

Par courrier de leur avocat du 26 octobre 2010, les époux G.J. mettent en demeure l’architecte de leur rembourser l’intégralité de l’acompte versé.

Vu le refus de l’architecte, le maître de l’ouvrage entame la procédure en remboursement de la somme de € 9.000,00 majorée des intérêts.

A titre reconventionnel l’architecte réclame paiement du solde de sa facture, soit € 4.915,00 majorés des intérêts.

Le premier Juge retient la responsabilité de l’architecte qui a manqué à son devoir de conseil en omettant de prendre les mesures élémentaires pour s’assurer de la faisabilité du projet. Il constate que l’architecte ne démontre pas l’accord du maître de l’ouvrage pour rémunérer son travail préparatoire et dit en conséquence la demande principale fondée au contraire de la demande reconventionnelle.

L’architecte interjette appel.

La Cour adopte la motivation du premier Juge considérant que l’obligation de conseil impose à l’architecte d’éclairer son client sur la faisabilité du projet au regard des prescriptions urbanistiques.

Voici comment s’exprime la Cour :

 « L’architecte devait, prioritairement, au vu de la nature du projet envisagé (construction d’un immeuble à appartements dans une rue où l’urbanisme existant était constitué de maisons unifamiliales avec un ou deux niveaux), s’informer des prescriptions urbanistiques applicables auprès de l’instance communale compétente pour définir dans quelles conditions un permis d’urbanisme pourrait être délivré.

 A cet effet il lui incombait, avant de se lancer dans la réalisation d’avant-projets, de solliciter un certificat d’urbanisme n° 2, document officiel par lequel le Collège communal et le Fonctionnaire délégué, sur base d’une esquisse du projet, donnent un avis sur sa faisabilité ».

La Cour observe qu’entre mai 2008 et décembre 2009 l’architecte a tracé toute une série de plans du bâtiment constituant des avant-projets sans avoir au préalable obtenu de la Ville d’Arlon les renseignements sur la faisabilité de la construction et la Cour considère, à juste titre, que « cette manière de procéder est fautive et justifie la demande de remboursement des honoraires versés pour la réalisation de ces avant-projets inutiles ».

L’architecte objecte avoir effectivement entrepris des démarches en vue d’obtenir le CU2, mais la Cour fait observer que l’introduction de cette demande en février 2010, soit après l’établissement des plans d’avant-projets, était tardive.

En outre la Cour remarque que le projet était totalement inadapté à l’urbanisme existant et qu’un nouveau projet aurait dû envisager la construction d’une maison unifamiliale plutôt qu’un immeuble à appartements de sorte que le maître de l’ouvrage ne pouvait qu’abandonner son projet de construction.

Cependant la Cour nuance la sévérité du premier Juge en reconnaissant que sans la faute de l’architecte, le maître de l’ouvrage aurait dû rémunérer ce dernier pour les prestations nécessaires à l’introduction d’une demande de CU2.

Certes, aucun contrat n’avait été signé entre l’architecte et son client, mais « il existe généralement des prestations d’architecte préalables à la définition d’une mission et à la signature d’un contrat.

Lorsque les relations sont restées précontractuelles l’architecte ne commet pas de manquement professionnel s’il n’a pas fait signer d’écrit à son client et il est admis qu’il puisse prouver par toute voie de droit l’existence du précontrat ».

Cet enseignement rejoint la jurisprudence et la doctrine constantes en la matière.

Les prestations d’architecte préparatoires donnent en principe droit à une rémunération en raison de l’activité créatrice qu’elles impliquent.

La Cour se réfère à l’article 150 du CWATUPE qui « porte que la demande de certificat n° 2 contient l’exposé du projet sous une forme graphique ou littérale ainsi que la demande éventuelle d’être entendu par l’administration communale et le Fonctionnaire délégué ».

La Cour ajoute que « l’annexe 35, modèle de la demande CU2, liste une série de documents qui peuvent être joints et qui portent essentiellement sur une esquisse représentative des travaux envisagés et des photos de l’environnement ».

La Cour estime sur cette base que le travail d’esquisse et d’étude du programme peut être fixé ex aequo et bono à € 1.000,00 hors tva.

Cette somme est donc allouée à l’architecte qui, pour le surplus, est condamné à rembourser les honoraires qu’il avait indument perçus.

Que faut-il retenir de cette triste expérience ?

Par manque d’information préalable et indispensable, l’architecte a entrainé son client dans un désastre ; ce qui devait être la réalisation d’un projet immobilier a tourné court lamentablement.

Pourtant il eut été si facile et pratique pour l’architecte de consulter l’administration communale avant toute autre prestation.

Cette démarche -évidemment rémunérée- aurait permis à l’architecte de dissuader ses clients en temps tuile et d’éviter ainsi pour tout le monde une perte considérable d’énergie.

On ne peut dès lors que conseiller à l’architecte d’accomplir sa mission par étape : en premier lieu l’étude de faisabilité sur le plan urbanistique, mais aussi en abordant les contraintes financières et de délai notamment.

Ceci peut-être confirmé par une convention de faisabilité ou, si les parties décident de s’engager immédiatement par un contrat d’architecture prévoyant une mission complète, ce contrat contiendra une clause qui stipule que la phase préliminaire de la mission est entamée par l’architecte au terme de laquelle chaque partie pourra se délier de tout engagement à condition pour le maître d l’ouvrage de rémunérer les prestations accomplies pour la réalisation de cette phase préparatoire qui peut correspondre à l’avant-projet.

Il en va notamment ainsi lorsque les devis récoltés s’écartent de plus de 15% des estimations données par l’architecte.

Dans ce cas les parties pourront soit envisager une redéfinition du projet, soit son abandon sans autre obligation pour le maître de l’ouvrage que celle de payer l’avant-projet.

Cette souplesse autorise aussi plus de liberté pour chaque partie.

 

 

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