Séminaire Classes Moyennes

Section 1 – Complexité de la matière

 

Il s »agit d’un domaine en évolution profonde et constante parce que la responsabilité de l’architecte ne peut être isolée du contexte dans lequel la profession s’exerce et des autres intervenants à l’acte de bâtir.

D’autre part les bouleversements technologiques et sociaux influencent la matière de la responsabilité de l’architecte.

D’une façon plus générale le secteur de la responsabilité a connu une mutation remarquable concernant notamment :

·        Le concept de faute : revendicativité croissante (notamment l’obligation de conseil).

·        La causalité[1]

La théorie jurisprudentielle du contrôle réciproque des fautes et l’équivalence des conditions, la responsabilité in solidum.

·        Le dommage

La jurisprudence s’est montrée très généreuse dans l’appréciation du dommage subi par le maître de l’ouvrage victime, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un profane.

 

Deux axes peuvent être distingués :

 

a) dans la détermination de la lésion (vice qui porte atteinte à l’habitabilité)

b) perte de jouissance ou indisponibilité totale ou partielle.

 

 

 Section 2 – La responsabilité spécifique de l’architecte

 

L’architecte assume une responsabilité civile à l’égard de son client, quasi délictuelle vis-à-vis des tiers et pénale.

 

Quelle que soit la responsabilité de l’architecte, la victime devra prouver la faute, le dommage et le lien de causalité.

 

La faute ne peut être confondue avec le préjudice lui-même.

 

La faute résulte d’un comportement qui méconnaît les prescriptions contractuelles et les règles de l’art ou qui ne correspond pas au comportement du bon professionnel placé dans les mêmes conditions compte tenu des normes et usages de la profession.

 

 

1.       Responsabilité civile contractuelle :

 

Cette responsabilité s’apprécie par référence à la mission architecturale.

 

La responsabilité civile contractuelle de l’architecte peut être engagée en raison des fautes commises.

·        Soit de conception au sens large ;

·        Soit de contrôle de l’exécution des travaux ;

·        Soit par rapport au devoir de conseil dont l’architecte est débiteur à l’égard de son client maître de l’ouvrage.

 

 

1°      Faute de conception

 

Les fautes de conception s’apprécient par référence aux règles de l’art et aux normes ainsi qu’aux prescriptions urbanistiques et aux performances indiquées dans les documents conceptuels. (Exemple : défaut d’isolation acoustique, Bruxelles 14.1.1993, E.D. 1993, p. 336)

 

La responsabilité conceptuelle de l’architecte sera particulièrement engagée en ce qui concerne l’examen du sol et du sous-sol permettant de déterminer les fondations et la stabilité de l’immeuble en général, le choix des matériaux et les performances à atteindre.

 

 

2°      Faute de contrôle

 

Le devoir de contrôle de l’architecte est certainement celui qui génère le plus d’occasion de responsabilité et de condamnation in solidum avec l’entrepreneur.

 

Trop souvent encore le juge confond le contrôle, la direction et la surveillance.

 

Le contrôle, en effet, ne peut être confondu avec une surveillance.

 

L’efficacité du contrôle est démontrée par la fréquence des visites de chantier constatées par des procès-verbaux et par la correspondance entretenue par l’architecte.

 

Comme le rappelle le tribunal de première instances de Nivelles (9ème chambre, 22 août 2000, JLMB 03/101), l’architecte n’a pas de pouvoir de coercition sur l’entrepreneur « il ne peut que dénoncer les carences de celui-ci dans les procès-verbaux de chantier ».

 

 

La mission de contrôle comporte trois devoirs qui se complètent, à savoir :

 

1.             avant l’exécution des travaux : l’architecte doit s’assurer que l’entrepreneur a parfaitement compris ce qui lui était demandé par la conception (plans et cahier des charges) ; au besoin il doit compléter celle-ci par des détails d’exécution qui seront fournis sur le chantier.

 

2.             durant l’exécution des travaux, l’architecte doit effectuer des prestations de contrôle qui lui permettent de s’assurer que l’entrepreneur exécute les travaux dans les règles de l’art et les délais convenus.

 

3.             après exécution des travaux, l’architecte doit encore effectuer des visites de contrôle pour vérifier que les travaux exécutés sont conformes aux stipulations du marché et aux règles de l’art.

 

 

Lorsque l’expert judiciaire et ensuite le juge examinent la relation causale entre le dommage subi par le maître de l’ouvrage et les fautes éventuellement concourantes de l’entrepreneur (pour défaut d’exécution) et de l’architecte (pour manquement à son obligation de contrôle), ils devront se montrer attentifs aux conséquences réelles que ces fautes ont pu entraîner.

 

Ainsi, comme le rappelle le tribunal de première instance, 9ème chambre, 22 août 2000, précité :

 

« A supposer qu’il y aurait eu un manque de contrôle du chantier, le bon contrôle n’eut pas empêché la mauvaise exécution, surtout si celle-ci est rapide, voire instantanée. Dans la plupart des cas l’architecte n’a pas de responsabilité dans la faute initiale de l’entrepreneur si elle consiste uniquement en une mauvaise exécution.

 

Si l’architecte ne relève pas immédiatement le manquement qu’il aurait dû constater et que cette négligence est fautive, elle n’a cependant pas fait apparaître le défaut initial et n’a donc pas de lien de causalité avec celui-ci…. En revanche,  la carence de l’architecte n’entraînera un retard dans la réparation due  par l’entrepreneur ou la persévérance de ce dernier dans son comportement fautif. C’est cette conséquence et le dommage qui en résulte qui seuls devront être supportés par l’architecte in solidum avec l’entrepreneur puisque, par hypothèse ce dernier a tardé à réparer ou a persisté dans un procédé fautif ».

 

 

L’intensité du contrôle est déterminée par une série de facteurs tels que l’importance des travaux exécutés, le fait que ces travaux seront ensuite rendus invisibles, telles les fondations ou les réseaux d’égouts, la difficulté ou la rapidité d’exécution, les conséquences plus ou moins importantes que les travaux peuvent avoir sur la stabilité ou l’habitabilité des constructions, etc…

 

 

 

 

3°      Devoir de conseil

 

L’architecte doit conseiller son client pour toutes les décisions importantes qui se rapportent à la construction, à savoir la définition du programme et du budget, ainsi que le choix des participants à l’acte de bâtir.

 

Le devoir de conseil anime la mission de l’architecte du début à la fin particulièrement durant la phase préparatoire et durant les opérations de réception.

 

Le devoir de conseil concerne également les prescriptions urbanistiques (Gand, 4 janvier 1996, R.W. 98, p. 153), les servitudes, les relations avec les voisins, la sélection des entrepreneurs (accès à la profession et enregistrement) (Civ. Nivelles, 22 septembre 1997, JLMB 1999, p. 33 et Bruxelles, 17 octobre 2002, JLMB 02/1159), le respect des législations qui concernent la construction telle que la loi Breyne ou la réglementation en matière de bien-être des travailleurs sur leur lieu de travail (sécurité chantier).

 

Concernant le respect de la loi Breyne, la Cour d’appel de Bruxelles (22 février 2001, JLMB 01/309) a jugé que l’architecte ne pouvait ignorer que l’entrepreneur agissait en infraction de la loi Breyne : « En collaborant à cette manœuvre, en agissant lui-même en infraction des obligations de sa profession et en s’abstenant de conseiller ses clients, il a engagé sa responsabilité ». La prononce une condamnation in solidum.

 

L’architecte commet une faute s’il ne se préoccupe pas qu’une autre architecte est chargé du contrôle des travaux (Bruxelles, 15 avril 2002 – JLMB 04/969).

 

L’architecte est le mieux placé pour conseiller et guider son client (profession libérale et formation intellectuelle).

 

Le devoir et la responsabilité de conseil ne sont pas illimités : l’architecte n’est pas un juriste  et il n’assume qu’une obligation de moyen. (cf. Liège 3.11.1994, J.L.M.B. 1996, p. 782). Il convient de distinguer trois hypothèses :

 

·        soit il est en mesure de résoudre la question posée,

·        soit il est en mesure de déceler les problèmes et de renvoyer le client au consultant spécialisé,

·        soit il ne peut ni prévoir, ni déceler le problème.

 

Le devoir de conseil varie en fonction de la personnalité du maître de l’ouvrage.

 

Le conseil consiste à informer et à s’informer.

 

Le devoir de conseil a connu de nombreuses applications jurisprudentielles concernant le budget. Il s’agit  pour l’architecte non seulement de définir correctement les limites budgétaires du programme, mais également de s’enquérir des moyens financiers du maître d’ouvrage et de conserver la maîtrise du budget et son respect jusqu’à la réception des ouvrages.

 

 

Cas de jurisprudence en matière d’évaluation du budget : Liège, 14.10.1994, J.L.M.B. 1995, p. 302 ; Bruxelles, 15.03.1996, J.L.M.B. 1996, p. 785-note BOULANGER ; Liège 3.11.1994, J.L.M.B. 1996, p. 782 ; Bruxelles  24.12.1992, R.R.D. 1994, p. 522-note FM ; civil Nivelles 13.2.199, J.L.M.B. 1996, p. 425 ; Bruxelles 7.10.1995, R.J.I. 1996, p. 200 ; civil Bruxelles 16.12.1994, J.L.M.B. 1996, p. 419 ; Liège 14.10.1994 ; Liège, 4 avril 1996, JLMB 1999, p. 5.; Bruxelles, 6 mai 2003, JLMB, 03/683.

 

L’appréciation des obligations et de la responsabilité de l’architecte est marquée par les circonstances que ce dernier est considéré comme un professionnel, homme de l’art expérimenté et compétent : la faute professionnelle est appréhendée non seulement  par référence contractuelle mais également et peut-être davantage de manière quasi institutionnelle par référence au rôle social qui lui est confié qui est la consécration de la loi du 20 février 1939 (monopole justifié par l’intérêt général).

 

 

1.             Responsabilité quasi délictuelle[2]

 

C’est-à-dire responsabilité  à l’égard des tiers. (ex. un passant, les voisins, etc…)

 

La responsabilité quasi délictuelle peut être engagée à l’égard du maître de l’ouvrage cocontractant que si deux conditions sont réunies : la faute doit être distincte d’un manquement et d’une obligation contractuelle et le dommage doit être différent de celui qui résulte de la mauvaise exécution d’une obligation contractuelle.

 

La responsabilité quasi délictuelle de l’architecte sera engagé à l’égard des tiers dès lors qu’il peut être prouvé que l’architecte a commis une faute qui est en relation causale directe avec le dommage subi par ce tiers.

 

La faute en matière quasi délictuelle est l’inexécution de l’obligation générale de prudence (le plus souvent un manquement de devoir de prévision caractérisé dans le chef de tout professionnel : cf. RIGAUX, le droit de l’architecte n° 477) : les règles de comportements issues des obligations contractuelles constituent souvent le critère d’appréciation d’une responsabilité professionnelle dans la mesure où ces comportements intéressent les tiers.

 

 

Exemple : en matière de sécurité chantier la responsabilité quasi délictuelle ou délictuelle de l’architecte peut être engagée à l’occasion d’un accident de chantier suivant la doctrine et la jurisprudence précédents la Directive européenne 92/57 du 24 juin 1992 et la loi du 4 août 1996.

 

Concernant les obligations de l’architecte pour la sécurité du chantier avant les dispositions légales précitées (cf. RIGAUX, op. cit. n° 479 à 484).

 

La responsabilité aquilienne peut résulter d’une négligence ou imprudence la plus minime et tout dommage causé par une telle faute, même s’il n’en est que la suite indirecte doit être réparée.

 

Dès lors qu’il enfreint une obligation légale, l’architecte encourt une responsabilité quasi délictuelle ou pénale.

 

Exemple : violation des lois et règlements en matière de bâtisse et d’urbanisme.

 

 

En matière de troubles de voisinage, l’architecte est concerné d’abord en raison d’un manque de prudence ou de prévision et ensuite lorsque, le maître de l’ouvrage assigné par son voisin exerce une action récursoire contre l’architecte ; cette action est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil ( cf. RIGAUX n° 488 à 504).

 

En conséquence, la prescription décennale n’est pas applicable à cette action récursoire (cf. RIGAUX , op. cit. n° 487).

 

Certains troubles de voisinage peuvent être causés par une faute de l’architecte ou de l’entrepreneur (Bruxelles, 10 avril 1997, E.D. 1997, p. 343).

 

Lorsque le trouble est non fautif, il ouvre au profit du voisin lésé l’action contre le maître de l’ouvrage fondée sur l’article 544 du Code civil.

 

En matière de trouble de voisine on tiendra compte notamment du vice propre ou de la réceptivité anormale de l’immeuble endommagé, ainsi que du devoir de prévision qui s’impose à tout constructeur normalement prudent et diligent (Bruxelles, le 1er juin 1992, E.D. 1997, p. 241).

 

 

3.      La responsabilité pénale de l’architecte

 

Elle peut être engagée soit sur base des dispositions du Code pénal, pour coups et blessures involontaires.

 

D’autre part de nombreuses dispositions légales et réglementaires (notamment en matière d’urbanisme et de sécurité chantier) sanctionnent les obligations légales par une responsabilité pénale qui incombe le cas échéant à l’architecte.

 

 

Section 3 – La responsabilité dans le temps

 

1°      Avant la réception

 

L’action du maître de l’ouvrage contre l’architecte avant l’achèvement et la réception de l’immeuble se fonde sur la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute commise dans l’exécution du contrat d’architecte en application de l’article 1147 du Code civil.

 

Cette action est un accessoire de la chose vendue et se transmet avec celle-ci en cas de vente avant achèvement.

 

 

 

Si l’immeuble est vendu pendant le procès en responsabilité engagée par le maître d’ouvrage vendeur, celui-ci ne conserve l’action en responsabilité contre l’architecte qu’à concurrence de son intérêt direct et certain de se voir indemniser du dommage qu’il a subi suite aux fautes contractuelles de l’architecte.

 

Les conditions de la vente peuvent cependant prévoir la cession de cette action à l’acheteur.

 

Jusqu’à la réception toute faute, même la plus légère commise par l’architecte peut être invoquée dans la mesure où elle a causé un préjudice.

 

 

2°      Après la réception[3]

 

a)       Dans la mesure où la réception constitue l’agréation par le maître d’ouvrage des travaux dans leur état apparent, cette agréation entraîne la fin des obligations contractuelles de l’architecte et constitue le point de départ de la garantie décennale (Anvers, 8 février 1999, E.D. 1999, p. 250 ; Liège, 23 avril 1998, Redrim.99, p 106).

 

En principe, un tel effet est attaché à la réception définitive ; toutefois les parties peuvent valablement convenir que la réception provisoire aura cet effet d’agréation et constituera donc le valable point de départ de la garantie décennale (Gand, 24 avril 1997, A.J.T., 98-99, p. 894).

 

Il faut que les parties le conviennent par contrat.

 

Après la réception la responsabilité de l’architecte ne pourra donc plus être engagée que, soit dans le cadre de la garantie décennale, soit pour les vices cachés après la réception agréation.

 

La garantie décennale est instituée par les articles 1792 et 2270 du Code civil.

 

La responsabilité décennale est de nature contractuelle ; elle est d’ordre public en ce sens que son délai ne peut  être raccourci.

 

 

b)      La responsabilité décennale ne peut être invoquée que pour un vice grave, c’est-à-dire qui compromet la solidité ou la stabilité de l’édifice (gros ouvrage).

 

Concernant la notion de gros ouvrage (cf. RIGAUX, n° 407 et suivants).

 

La notion de gros ouvrage est une notion de fait qui est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

 

Ont ainsi été considérés comme participants aux gros ouvrages, non seulement les murs, charpente, toiture et tous éléments qui contribuent à la stabilité de l’édifice, mais également le réseau de canalisation d’égouts ou de chauffage central, d’isolation thermique, les parements et façades, les terrasse (Liège, 25 juin 1996, E.D. 97, p.222).

Ont été considérés comme menus ouvrages la menuiserie extérieure.

 

Les plafonnages et carrelages sont parfois considérés comme gros ouvrage, parfois comme menus ouvrages.

 

 

Concernant la notion de vices graves (cf. RIGAUX, n° 411 et suivants).

 

La gravité du vice a fait l’objet de nombreuses jurisprudences et d’examen attentif de la doctrine (Anvers, 23 septembre 1997, R.W. 98.98, p. 299 ; Termonde 12 avril 1991, E.D. 99, p. 77 ; Anvers, 8 février 1999, E.D. 99, p. 250).

 

La tendance actuelle est de n’admettre comme vices graves que ceux qui compromettent la stabilité ou la solidité de l’édifice au sens du Code civil et d’exclure des vices qui gênent ou empêchent l’habitabilité ou l’usage normal des lieux sans pour autant mettre ceux-ci en péril (exemple, isolation acoustique, buées et condensations, corrosion d’une installation sanitaire, etc…. contra : Bruxelles, 15 mars 1996, Res. Et Jur. Imm. 1997, p. 20).

 

Cependant, une partie de la jurisprudence admet que la garantie décennale peut être engagée pour d’autres vices, notamment les vices qui compromettent l’habitabilité ou la jouissance normale (cf. RIGAUX, n° 405).

 

N.B. : un vice peut entrer dans le cadre de la décennale même si, dans l’immédiat, il ne porte pas atteinte à la solidité ou à la pérennité de l’œuvre pourvu que, à terme, cette solidité soit affectée (exemple : corrosion d’une canalisation d’eau sanitaire qui à terme peut entraîner le percement de la tuyauterie, des infiltrations et dès lors un péril grave pour la solidité) (Bruxelles, 3 juin 1992, E.D. 98, p. 47).

 

La garantie décennale incombe, non seulement, à l’architecte et à l’entrepreneur mais aussi à d’autres professionnels qui exercent une activité de construction immobilière,  soit les ingénieurs, bureaux d’études, entrepreneurs sous-traitants, promoteurs immobiliers, (conformément à la loi Breyne).

 

 

 

c)       Le délai de 10 ans est un délai prefix, il n’est donc susceptible ni de suspension ni d’interruption, sauf reconnaissance formelle de responsabilité du constructeur.  La citation devra être lancée devant le tribunal du fond pour interrompre valablement la prescription.

 

 

 

d)      Le débiteur de la responsabilité décennale peut opposer au créancier l’exception d’inexécution puisque la responsabilité décennale est contractuelle (RIGAUX, n° 442), de même les parties peuvent valablement transiger sur les réparations des désordres, mais le maître de l’ouvrage ne pourrait y renoncer par avance.

 

 

3°      La responsabilité des vices cachés après la réception[4]

 

La jurisprudence contemporaine condamne également les constructeurs, non seulement lorsqu’il y a dol, c’est-à-dire lorsque l’architecte ou l’entrepreneur devait avoir connaissance de l’existence d’un vice et qu’ils n’en ont pas informé le maître de l’ouvrage, mais également pour les vices cachés véniels.

 

La jurisprudence tend cependant à considérer qu’une action fondée sur un vice caché véniel après réception doit être introduite dans un délai utile, c’est-à-dire rapidement en tenant compte de tous les éléments de la situation, notamment des négociations menées, des contestations, des tentatives de règlement amiable, etc…..

Cf. appel Bruxelles 22.9.1994, J.L.M.B. 1996, p. 1476 ; Commerce Termonde 14.12.1995, E.D. 1996, p. 396 ; Liège, 11 mars 1998, R.G.D.C. 99, p. 211.

 

Une telle action est irrecevable si le maître de l’ouvrage a, en fait, accepté la situation vicieuse (Anvers, 23 septembre 1997, E.D. 99, p. 312).

 

Exemple : s’il a laissé écouler un délai à ce point long depuis la découverte du vice qui ne pourrait s’interpréter autrement que par l’acceptation de cette situation vicieuse.

 

La responsabilité des constructeurs en matière de vices cachés est fondée sur le fait que la réception du maître de l’ouvrage ne peut pas porter sur un ouvrage atteint d’un vice dont le maître de l’ouvrage ne connaissait pas l’existence ; par contre un architecte et l’entrepreneur peuvent s’exonérer de leur responsabilité pour vice véniel après la réception définitive.

 

 

 

Section 4 – Le lien de causalité et l’intervention de tiers

 

1°         Responsabilité respective[5]

 

Lorsque les bureaux de contrôle interviennent à la demande d’un assureur (assurance contrôle), ces bureaux imposent des décisions de nature technique sous peine d’entraîner la déchéance de l’assurance.

 

En principe ces interventions ne constituent pas des causes d’exonération de la responsabilité de l’architecte qui reste auteur de projet et responsable à ce titre de la conception et du contrôle de l’exécution des travaux.

 

En outre, l’intervention de ces bureaux d’études n’a pas le même objectif que la mission architecturale ; ils veillent à circonscrire et limiter le risque d’assurance.

 

D’autre part, le maître de l’ouvrage peut s’adjoindre divers conseillers (les bureaux de contrôle précités peuvent d’ailleurs intervenir dans certaines circonstances comme conseils techniques du maître de l’ouvrage directement et non plus comme co-contractant de l’assureur).

De même lorsque le maître de l’ouvrage fait appel à des Project manager, quantity ou quality surveyor, etc…. L’intervention de ces conseillers n’a pas pour effet, en principe, de limiter la responsabilité de l’architecte, surtout lorsqu’il s’agit de la garantie décennale.

 

Tout au plus, cette responsabilité pourrait être limitée si les obligations de l’architecte ont été elles-mêmes limitées dans certaines matières qui ne touchent pas directement au monopole légal de l’architecte.

 

Exemple : examen et respect du budget et des implications financières du programme.

 

Cependant, la Cour de Cassation, en son arrêt du 3 mars 1978, a reconnu la délégation de mission et donc de responsabilité correspondante de l’architecte au profit de spécialistes et aux conditions définies par la Cour de Cassation (compétence notoire du spécialiste et incompétence corrélative de l’architecte, nécessité d’un bon choix,  maintien de l’obligation de coordination).

 

 

2°      Le contrôle réciproque des fautes

 

En plus de l’accomplissement de leurs missions respectives, architectes et entrepreneurs sont suffisamment capables et compétents pour se corriger mutuellement et éviter les fautes que chacun pourrait commettre.

 

Quoique leurs obligations résultent de contrats distincts, les liant au maître de l’ouvrage, et que leurs responsabilités sont différentes, chaque intervenant ne peut se désintéresser de ce que font les autres.

 

L’entrepreneur lui-même n’est pas un exécutant servile, il a un devoir d’intelligence.

 

Il doit donc résister aux conceptions trop dangereuses et dénoncer les erreurs ou manquements conceptuels (Bruxelles, 3 juin 1992, E.D. 98, p. 47).

 

De plus, dans la mise en œuvre, l’entrepreneur maîtrise son intervention et conçoit lui-même le mode d’exécution le plus approprié.

 

Pour l’architecte, compte tenu de son devoir de contrôle de l’exécution des travaux, il sera tenu des erreurs d’exécution imputables à l’entrepreneur si un contrôle plus diligent et efficace aurait permis d’éviter ou prévenir la commission de la faute ou d’en exiger réparation en cours de chantier (Liège, 4 avril 1996, JLMB 99, p. 5 ; Bruxelles, 22 septembre 1994, JLMB 96, p. 1476).

 

Le contrôle réciproque des fautes est une illustration du principe que la construction est une affaire d’équipe et de pluridisciplinarité.

 

 

3°      Immixtion du maître de l’ouvrage

 

Immixtion d’un maître d’ouvrage n’est une cause étrangère que si ce dernier est notoirement compétent et que son intervention revêt un caractère impératif.

En outre, elle doit s’exercer dans un domaine qui n’appartient pas au monopole légal de l’architecte (cf. Cassation, 6 juin 1985, Pas. 1985, I, p. 1256).

 

L’architecte ne peut céder aux injonctions du maître de l’ouvrage que si les inconvénients qui peuvent en résulter sont seulement mineurs et à  condition que l’architecte ait prévenu le client et décliné préalablement sa responsabilité en donnant les informations utiles.

 

Tout vice susceptible d’entraîner la garantie décennale ne peut échapper à la responsabilité de l’architecte.

 

Les simples choix économiques exercés par le maître de l’ouvrage ne constituent pas en tant que tels une immixtion. Celle-ci doit être impérative.

 

Exemple : lorsque le maître de l’ouvrage accepte une mise en œuvre moins onéreuse mais dont il est assuré qu’elle sera efficace ; ceci ne constitue pas une immixtion du maître de l’ouvrage qui justifierait sa responsabilité.

 

L’architecte doit résister aux injonctions du maître de l’ouvrage qui veut imposer un mode de construction économique mais dangereux (Bruxelles, 15 mars 1996, JLMB 96, p. 785).

 

Si les injonctions du maître de l’ouvrage entraînent un danger pour la construction, l’architecte doit prévenir le maître de l’ouvrage et celui-ci persiste l’architecte doit maître fin à sa mission.

 

Lorsque le maître de l’ouvrage est notoirement compétent et professionnel (promoteur immobilier) l’architecte conserve malgré tout ses prérogatives et sa responsabilité spécifique (Bruxelles, 15 février 1996, JLMB 96, p. 1482).

 

En outre, tout promoteur immobilier n’est pas nécessairement compétent en matière technique. Il s’agit parfois de simples promoteurs financiers.

 

 

 

4°      Cause étrangère, force majeure

 

La force majeure est un obstacle irrésistible, imprévisible et totalement étranger au fait du débiteur qui rend définitivement l’exécution de l’obligation impossible.

 

De telles conditions strictes lorsqu’elles sont réunies permettent d’exonérer la responsabilité de l’architecte.

 

(cf. RIGAUX, op. cit., n° 308 et FLAMME, Le droit des constructeurs n° 270 et Le contrat d’entreprise 1975-1990, p. 142).

 

 

 

 

 

 

5°      La responsabilité des collaborateurs

 

Collaborateurs internes

L’architecte peut accomplir sa mission en s’entourant de collaborateurs et leur déléguer certaines des tâches qui rentrent dans le monopole légal mais, ces collaborateurs agissent sous son exclusive responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage et des tiers, que le collaborateur soit lié par un contrat de louage de services ou un contrat de louage d’ouvrages.

 

Collaborateurs externes

Lorsque l’architecte s’adresse à un bureau d’études ou d’ingénieurs, il supporte à l’égard du maître de l’ouvrage les conséquences des fautes commises par ce bureau d’études sauf s’il peut établir qu’il agit en qualité de mandataire du maître de l’ouvrage.

 

A noter que l’ingénieur peut intervenir en étant le co-contractant soit directement du maître de l’ouvrage (formule la plus recommandable) soit de l’architecte, soit encore de l’entrepreneur (formule à déconseiller).

 

 

 

6°      Exonération de responsabilité

 

Les clauses contractuelles d’exonération de responsabilité sont licites, mais cette exonération n’est pas admise lorsqu’elle porte atteinte à l’essence même du contrat ou à une disposition légale d’ordre public.

 

Exemple : la responsabilité décennale ou les obligations qui rentrent dans le champ du monopole légal.

 

D’autre part, nul ne peut s’exonérer des suites de son dol, donc de sa faute intentionnelle.

 

N.B. : ne pas confondre exonération conventionnelle préalable et transaction intervenant après l’apparition du désordre.

 

Lorsqu’elle est établie au profit d’un professionnel la jurisprudence est très sévère dans l’appréciation de la clause exonératoire qui sera toujours d’interprétation restrictive.

 

Exemple de clause d’exonération de responsabilité : l’abandon de toute responsabilité in solidum,  la limitation de la responsabilité des vices cachés mineurs après réception.

 

N.B. ne pas confondre exonération de responsabilité et transfert d’obligations et de responsabilité corrélative (Cassation 3 mars 1978).

 

Cf. appel Bruxelles, 15.2.1996, J.L.M.B. 1996, p. 1482.

 

 

 

 

 

Section 5 – Le dommage[6]

 

1°         La réparation en matière contractuelle

 

Elle se limite au préjudice prévisible. Cette exigence de prévisibilité ne concerne que la cause du dommage et non son étendue.

 

 

2°         Relation de causalité entre la faute et le dommage

 

Chaque dommage doit être identifié et relié à une faute précise.

 

Plusieurs fautes concurrentes peuvent avoir causé un seul et même dommage. Inversement plusieurs dommages peuvent avoir une cause unique.

 

 

3°      Quels sont les dommages réparables ?

 

a)             La réparation du vice de construction proprement dit : le coût des réparations et remèdes.

b)             Le préjudice indirect causé à la construction.

 

Exemple : vice d’étanchéité provoquant des infiltrations à l’intérieur.

 

c)             Le préjudice indirect de nature mobilière : trouble de jouissance (Liège, 4 avril 1996, JLMB 99, p. 5), perte de revenus locatifs, perte commerciale, etc….

 

d)             Le juge peut également accorder la réparation d’un dommage moral (cf. Civ. Nivelles, 9ème chambre, 22 août 2000, JLMB 03/101) qui accorde à l’épouse du maître de l’ouvrage ayant fait une dépression nerveuse suite aux difficultés rencontrées dans la construction la réparation d’un dommage fixé ex æquo et bono.

 

4°      Le dommage subi suite aux retards apportés à la réparation

 

Ce retard est compensé par l’allocation d’intérêts.

 

 

5°      Le juge doit accorder une réparation proportionnée au dommage.

 

En cette matière le principe d’abus de droit trouve à s’appliquer lorsque par exemple le coût de la remise en état d’une chose viciée excède la valeur de remplacement, ou lorsque le coût de la remise en état dépasse l’intérêt que la chose représente pour son propriétaire.

 

 

 

 

 

6°      Le juge évalue le dommage à la date où il statue

 

C’est pourquoi les indemnités évaluées par l’expert sont réévaluées en fonction d’un indice ou index des prix pour compenser la dépréciation constante du pouvoir d’achat de la monnaie.

 

 

7°      Les intérêts

 

Ils sont également alloués.

 

Le juge apprécie le moment à partir duquel les intérêts de nature compensatoire doivent être dus.

 

Les intérêts alloués pour la période postérieure au prononcé du jugement sont par contre des intérêts moratoires.

 

 

8°      Obligation de la victime

 

La victime a l’obligation de limiter son dommage dans toute la mesure du possible.

 

 

9°      TVA, vétusté et plus value

 

La jurisprudence accorde le remboursement de la TVA sans exiger la preuve du paiement de celle-ci par production de factures acquittées.

 

 

Par contre, il est tenu compte des critères de vétusté ou de plus value qui diminuent la créance de la victime, de même que la déduction de la part que représenterait le coût des travaux prescrits par l’expert, mais qui aurait de toute manière du être supportée par le maître de l’ouvrage si elle était prévue et exécutée d’origine.

 

 

Section 6 – Condamnation in solidum

 

1°      Principes

Pour des motifs divers, notamment défense maximale du maître de l’ouvrage victime et parfois un certain laxisme dans l’examen des responsabilités, la jurisprudence a inventé une théorie qui ne se fonde sur aucune loi, à savoir la responsabilité in solidum.

 

Alors qu’en matière civile la solidarité ne se présume pas (elle n’existe qu’en vertu de la loi ou si le contrat le prévoit expressément), la jurisprudence fait un recours fréquent à la condamnation in solidum qui permet de condamner chaque auteur de fautes distinctes à réparer l’intégralité du dommage, même si ces fautes constituent un manquement à des contrats différents.

 

Il suffit que le juge constate que chaque faute a pu, à elle seule, produire le dommage pour que son auteur soit condamné à la réparer intégralement, même si ce dommage a par ailleurs également pu être causé par d’autres fautes imputables à d’autres intervenants responsables.

 

Il suffit qu’il existe entre la faute et le dommage un lien, même indirect, revêtant le caractère de nécessité (Liège, 4 avril 96, JLMB 99, p. 5 ; Cass. 2 octobre 1992, E.D. 97, p. 163).

 

Le débiteur qui a tout payé au créancier (dans le rapport de l’obligation à la dette) pourra se retourner contre les autres co-débiteurs et leur réclamer le remboursement de la part (contribution à la dette).

 

La condamnation in solidum trouve dans le domaine de la construction un terrain de prédilection dès lors que les interventions de l’architecte et de l’entrepreneur, quoique bien distinguées en théorie par l’incompatibilité légale (article 6 de la loi du 20 février 1939), sont en réalité étroitement associées.

 

La construction est, en effet, le fruit d’un travail conjugué de plusieurs intervenants et d’une interpénétration de leurs missions et obligations.

 

La jurisprudence récente semble toutefois se montrer plus attentive dans l’analyse des fautes et de leurs incidences respectives sur le dommage (cf. Cour d’appel de Liège, 6 décembre 1994, JLMB 1995, 1317) (cf. jurisprudence DIMM., IV, point 2, point 4-5, p. 49 ; cf. Charleroi, 30 mars 1995, JLMB 96, p. 793).

 

Une meilleure individualisation des responsabilités et de leurs liens de causalité avec le dommage permet d’éviter la condamnation in solidum.

 

La question est de savoir si l’acte de l’architecte de conception et de contrôle aurait permis d’éviter au maître de l’ouvrage le dommage dont il se plaint ou si le constat des défectuosités effectué en temps utile par l’architecte aurait été impuissant à remédier aux malfaçons constatées ou de nature à en limiter les conséquences négatives sur la suite des travaux et leurs manquements.

 

Certains tribunaux (en particulier Nivelles) retiennent la responsabilité de l’architecte essentiellement pour le retard mis à la réparation lorsqu’un contrôle plus efficace aurait permis en temps utile d’opérer le remède.

 

 

2°      Critique

 

La condamnation in solidum est critiquable.

 

Elle protège le maître de l’ouvrage puisque celui-ci dirigera son recours vers les débiteurs les plus solvables, mais elle aboutit à une injustice d’autant plus insupportable qu’elle se situe dans un contexte de crise économique qui favorise la faillite des entrepreneurs et laisse l’architecte assuré seul face au maître de l’ouvrage.

 

 

 

Dans leur contrat d’architecture, les architectes ont tâché de réagir en faisant inscrire une clause dite de refus de la condamnation in solidum.

 

La validité de cette clause n’est pas mise en doute, mais l’efficacité de celle-ci n’est pas absolue et ne peut être garantie.

 

Elle présente cependant l’avantage de sensibiliser les parties et le tribunal à ce problème et impose à l’expert  au juge d’aborder la responsabilité de l’architecte et des autres intervenants avec précision et d’éviter les amalgames ou confusion en distinguant les obligations et les responsabilités assumées par chacune des parties et en évitant que l’architecte ne devienne le garant inconditionnel des obligations souscrites par les autres intervenants.

 

Les meilleures parades contre les conséquences néfastes de la condamnation in solidum consistent à:

 

a)             Mieux définir et cerner les obligations contractuelles de l’architecte ;

 

b)             Mieux définir et cerner les  obligations du maître de l’ouvrage, notamment entretien de l’immeuble dès sa réception. Veiller à la solvabilité des entrepreneurs en imposant au maître de l’ouvrage de ne contracter qu’avec des entrepreneurs solvables ; cette solvabilité peut être garantie notamment par l’assurance de la RC professionnelle des entrepreneurs.

 

c)             Le cautionnement et la garantie bancaire, du reste imposées dans le cadre de la loi Breyne.

 

d)             La retenue contractuelle sur les factures.

 

e)             Mesures d’office

 

f)               Garantie des fabricants.

 

 

Il est recommandé d’inscrire dans le contrat d’architecte  la clause suivante :

 

« L’architecte n’assume aucune obligation in solidum avec aucun autre édificateur dont il n’est jamais obligé à la dette à l’égard du maître de l’ouvrage »

 

La validité de cette clause a été reconnue notamment par la Cour d’appel de Mons (13 février 2001, JLMB, 03/103).

 

La Cour d’appel de Liège a également admis la licéité d’une clause équivalente (10 avril 2001, JLMB 03/98).

 

Cette licéité a également été reconnue par un récent arrêt inédit de la Cour d’appel de Bruxelles du 3 mars 2006.

 

Cela n’empêche, évidemment pas, le maître de l’ouvrage d’obtenir une condamnation de l’architecte au tout s’il démontre concrètement que le dommage, tel qu’il s’est produit, est en relation directe avec un manquement de l’architecte, notamment son devoir de contrôle.

 

Développement de la question (cf. J.P. VERGAUWE, Le droit de l’architecture, p. 181 à 198).

 

 

Section 7 – Obligation de moyen ou de résultat

 

En principe les obligations de l’architecte sont de moyens et non de résultat : l’architecte doit apporter à sa mission tous les soins d’un bon père de famille, c’est-à-dire la compétence et la diligence que l’on doit normalement attendre d’un homme de l’art placé dans les mêmes conditions.

 

L’obligation de résultat est écartée du champ de responsabilité de l’architecte : promettre un résultat par exemple de prix ou de délai, consiste à prendre des risques de nature commerciale, ce qui est incompatible avec la profession libérale.

 

L’évolution technique impose cependant d’affiner cette dichotomie. Le maître de l’ouvrage ne peut se satisfaire à une obligation de moyens dans le chef de l’architecte lorsqu’il s’agit d’obtenir un bien exempt de vices.

 

Le contrat d’architecte peut être rangé parmi ceux qui engendrent un faisceau d’obligations dont certaines sont de moyens et d’autres de résultat.

 

La responsabilité de l’architecte sera donc appréciée en fonction des obligations dont il dépend.

 

En outre, le professionnalisme imposé  à l’architecte entraîne une responsabilité davantage objectivée.

 

Ce qui intéresse le maître de l’ouvrage en cas de vices, c’est d’obtenir réparation et non de rechercher des responsabilités.

 

Ceci entraîne d’importantes conséquences, notamment dans le domaine de la preuve en allégeant le fardeau de celle-ci au profit du maître de l’ouvrage.

 

Trois facteurs ont contribué ont contribué à objectiver la responsabilité de l’architecte.

 

·        La construction produit.

·        Le consumérisme

·        L’institutionnalisation

 

(cf. droit de l’architecte, p. 167 et 168).

 

 

Section 8– La responsabilité personnelle

 

L’architecte assume personnellement sa responsabilité. Il s’agit là d’un effet du monopole légal.

 

Seule une personne physique, en effet, peut être titulaire du diplôme et inscrite au tableau et donc en mesure d’assumer la responsabilité qui s’attache à la fonction architecturale.

Cette conception traditionnelle n’est pas aussi évidente qu’elle y paraît (cf. la théorie de l’acte détachable : distinguer l’acte architectural en tant que tel qui seul peut être accompli par un architecte personne physique et d’autre part l’engagement par lequel cet acte est promis).

 

Quoi qu’il en soit, en Belgique, seul l’architecte supporte les conséquences de sa responsabilité.

 

Il ne peut se retrancher derrière une société, même dotée de la personnalité juridique (en France, cf. loi du 12 juillet 1985, la société constituée par l’architecte pour exercer sa profession supporte elle-même la responsabilité  à la décharge complète de l’architecte et peut s’inscrire comme telle au tableau de l’Ordre et souscrire l’assurance de responsabilité civile professionnelle).

 

Cf. Civil Nivelles 16.1.1998, R.G. 1997/912/A inédit.

 

 

Section 9 – Responsabilité objectivée

 

La responsabilité de l’architecte n’est pas absolue certes, mais elle est de plus en plus objectivée.

 

a)                  construction et architecture

 

Comme le note M. HUET (le droit de l’architecture économique à Paris, p. 258), l’architecte supporte une responsabilité plus grande que les tâches qu’il effectue.

 

L’auteur invite à une distinction entre architecture et construction.

 

L’architecte est avant tout responsable de l’architecture (création d’espaces et de volumes en fonction d’un programme défini avec le maître de l’ouvrage), tandis que la construction est l’expression de l’architecture mais ne peut s’y confondre. Elle est soumise à des contraintes techniques et des performances qui se réfèrent aux règles de l’art et aux normes.

 

 

ARCHITECTURE                                                       CONSTRUCTION

 

Espace/volume                                                 techniques/performances

 

Projet                                                                           produit

 

Artiste conseiller                                                           savoir faire technique

 

L’architecture est projet et la construction est produit.

 

L’architecture sollicite l’architecte dans ses dons d’artiste et la sagesse de ses conseils.

 

Il ne peut être ici question de responsabilité objective ou de garantie de résultat, tandis que la construction fait appel à un savoir-faire technique.

 

Certes, l’architecte ne peut se laisser entièrement accaparer par l’architecture au point de se désintéresser voire de mépriser la construction, pour assurer la qualité esthétique et technique il doit être présent et actif dans le processus constructif par la conception et le contrôle de l’exécution.

 

Le maître de l’ouvrage souvent profane et inexpérimenté mérite le secours et la protection de l’architecte.

 

La réparation doit être totale et elle devrait être, en outre, rapide.

 

 

b)             La responsabilité  est plus vaste que les obligations

 

On a souvent tendance à investir l’architecte d’obligations et de responsabilités qui dépassent sa mission et ses compétences et finissent par occulter le projet au profit du seul produit.

 

A propos de chaque vice ou de dysfonctionnement tel un dépassement de budget ou de délai il faut savoir prendre la peine de distinguer entre la responsabilité de l’architecte et sa mise en cause.

 

L’architecte responsable du projet en général n’est pas nécessairement coupable des seuls vices constatés ou de tout problème rencontré.

 

 

Section10 – Les responsabilités en cascade

 

La construction est une affaire d’équipe et un travail collectif dans laquelle chaque intervenant à titre divers assume une partie des tâches nécessaires à la finalité de l’ensemble.

 

Architecte, entrepreneur, ingénieur, sous-traitant, spécialiste, fabricant, Project manager, etc…

 

Ces interventions suscitent des problèmes de répartition de compétences voire de monopole mais aussi des questions délicates en rapport avec la responsabilité.

 

Le fabricant produit le matériau, le sous-traitant l’a commandé et mis en œuvre, l’entrepreneur général et l’architecte sont les cocontractants du maître de l’ouvrage, etc…

 

Le droit et la jurisprudence ont de la difficulté à suivre l’évolution sans accuser un retard certain entre l’apparition du problème et la mise en application d’une solution satisfaisante et suffisamment constante pour assurer la sécurité dans les relations économiques.

 

2°      Action directe des sous-acquéreurs contre l’architecte et l’entrepreneur (cf. supra)

(cf. RIGAUX, n° 360 à 375)

 

3°      Aligner les intervenants

 

Pour assurer la sécurité juridique il conviendrait que le législateur aligne les différents intervenants à la construction quel que soit leur degré d’interposition de façon que chacun puisse assumer sans défaillance sa responsabilité.

 

Ceci permettrait notamment au maître de l’ouvrage d’assigner directement le sous-traitant de l’entrepreneur général (cf. la loi française SPINETTA, du 3 janvier 1978).

 

 

Conclusion

 

1.         Les incertitudes et les lacunes du système légal actuel

 

 

a)                  L’architecte tiraillé

 

L’architecte est tiraillé d’une part entre une responsabilité personnelle de type profession libérale fondée sur des obligations de moyens où le rôle de conseil est déterminant et d’autre part la responsabilité objective qui s’applique à un produit et où l’obligation de résultat est déterminante.

 

Sa responsabilité oscille entre l’architecture et la construction, l’art et la technique.

 

 

b)             La construction résultat d’interaction

 

Trop souvent les juristes oublient ou refusent de reconnaître que la construction forme nécessairement un tout considéré sous l’angle du résultat et que pour l’atteindre les participants à l’acte de bâtir sont interdépendants.

 

La qualité et les performances du bâtiment ne dépendent pas du seul architecte, mais également des autres participants dont les interventions sont étroitement imbriquées.

 

La construction est un exemple type d’interaction de relations humaines,  phénomène mal perçu par le législateur et la jurisprudence.

 

 

c)             La coresponsabilité

 

Il faudrait reconnaître une coresponsabilité qui n’a rien à voir avec la condamnation in solidum purement artificielle et passive alors que la coresponsabilité anime positivement les interventions des constructeurs et se prolonge naturellement dans le champ de leurs responsabilités, elle implique donc une participation réelle, un décloisonnement des professions, en particulier pour l’architecte.

 

d)      L’assurance

 

1°      Obligation pour l’entrepreneur et le promoteur d’assurer en RC professionnelle au même titre que l’architecte ou l’ingénieur.

 

2°      L’assurance du maître de l’ouvrage pour le dommage à l’ouvrage concomitante à l’assurance des constructeurs pour leur RC professionnelle. Ce qui permettrait une organisation rapide et efficace des  réparations et des indemnisations au système inspiré de la loi française SPINETTA.

 

3°      Recherche d’un équilibre judicieux entre d’une part la nécessaire protection du maître de l’ouvrage et d’autre part le maintien du sens des responsabilités, l’assurance ne peut conduire à une dilution des responsabilités.

 

a)             Des parades à l’insolvabilité des constructions

 

b)      le cautionnement et la garantie bancaire

 

c)             les retenues sur factures

 

d)             les mesures d’office

 

e)             les garanties des fabricants

 

f)       Le défaut zéro

 

Le défaut zéro en construction n’existe pas.

 

Il faut donc accepter l’erreur mais le système actuel de la réparation des dommages doit être amélioré.

 

La garantie doit porter sur la réparation rapide et modulée par une coresponsabilité et une coassurance de tous les participants à l’acte de bâtir.

 

g)             Précautions à prendre pour mieux maîtriser la responsabilité de l’architecte.

 

–         bonne rédaction des documents contractuels de base et en particulier le contrat d’architecture et le cahier des charges qui définissent clairement les obligations de chaque partie et qui informent le maître de l’ouvrage.

 

–         bonne rédaction des procès-verbaux de chantier.

 



[1]     cf. RIGAUX, le droit de l’Architecte, Larcier, 1993, n° 303 à 327

[2]     cf. RIGAUX n° 473 à 487

[3]     RIGAUX n° 402 à 445

[4]     cf. RIGAUX n° 446 à 460

[5]     cf. RIGAUX n° 334 à 342

[6]     cf. RIGAUX, n° 343 à 349

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