Article publié par Jean-Pierre VERGAUWE, dans la revue Architrave n° 215 du mois de septembre 2023

  1. Contrat synallagmatique

 Le contrat d’architecture est une convention « synallagmatique » ou bilatérale, ce qui signifie que les prestations et obligations d’une partie sont conditionnées par celles de l’autre partie.

Ce type de contrat crée des obligation réciproques et interdépendantes.

Chaque partie est à la fois créancière et débitrice de l’autre partie.

L’article 5.6 Livre 5 « Les obligation » du nouveau Code civil définit le contrat synallagmatique « lorsque les parties sont obligées réciproquement les unes envers les autres ».

L’architecte fournit son travail au bénéfice du maître de l’ouvrage à condition que ce dernier s’acquitte de ses engagements et notamment verse les honoraires conformément aux clauses du contrat (montants exigibles et échéances prévues).

En conséquence, en cas de défaillance d’une partie, son cocontractant pourra, en respectant certaines conditions, mettre fin anticipativement au contrat.

Il s’agit dans ce cas d’une résolution du contrat.

N’étant plus payé à temps, l’architecte sera en droit de ne plus poursuivre sa mission.

D’autres situations critiques peuvent également inciter l’architecte à recourir à cette solution extrême ; citons à titre exemplatif, le cas où le maître de l’ouvrage s’immisce gravement et à tort dans le processus de la construction ou néglige systématiquement les recommandations légitimes de l’architecte, particulièrement lorsque ces mises en garde intéressent la stabilité ou l’étanchéité de la construction, de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

De même lorsque le maître de l’ouvrage décide de confier les travaux à un entrepreneur qui appelle de sérieuses réserves de l’architecte concernant sa capacité ou solvabilité ou encore en cas d’absence d’assurance obligatoire.

La résolution était déjà visée par l’article 1184 de l’ancien Code civil qui prévoit que la partie à un contrat synallagmatique envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté à le choix ou de forcer son débiteur à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec des dommages et intérêts.

Ajoutons que l’architecte-créancier pourrait également envisager la suspension de l’exécution de ses obligations.

Cependant cette solution n’est pas recommandable.

En effet, en phase exécution de la construction celle-ci doit être contrôlée par l’architecte.

Suspendre ce contrôle équivaut donc à interrompre le chantier ce qui, pratiquement s’avère quasi impossible et certainement très dommageable, non seulement pour le maître de l’ouvrage défaillant, mais aussi pour l’entrepreneur.

La loi offre donc au créancier une option : soit contraindre le débiteur à exécuter la convention, soit résoudre celle-ci.

  1. Conditions de la résolution

 Bien entendu cette fin anticipée du contrat est assortie de conditions très strictes.

Il s’agit en effet d’une solution extrême qui, au demeurant, risque de paralyser une construction qui ne serait plus contrôlée par l’architecte.

1°      L’article 5.83 du Livre 5 du nouveau Code civil impose que la mise en œuvre des sanctions en cas d’inexécution imputable au débiteur (notamment le droit à résolution du contrat) soit précédée d’une mise en demeure.

2°      « Le contrat synallagmatique peut être résolu lorsque l’inexécution du débiteur est suffisamment grave ou lorsque les parties sont convenues qu’elle justifie la résolution » (article 5.90).

La résolution peut aussi intervenir en cas de « circonstances exceptionnelles » s’il est manifeste « que le débiteur, après avoir été mis en demeure de donner, dans un délai raisonnable, des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations, ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour le créancier » (article 5.90).

Ajoutons qu’en ce qui concerne l’architecte, ce dernier est garant non seulement de ses propres intérêts mais également de l’intérêt général qui impose le respect par le maître de l’ouvrage, des prescriptions qui conditionnent la qualité de la construction.

Ces conditions existaient déjà, mutatis mutandis, en application de l’article 1184 de l’ancien Code civil, comme le rappelle un arrêt de la 2ème chambre de la Cour d’appel de Mons du 3 mars 2015 (2013/RG/67).

Notamment la garantie des manquements du débiteur et la nécessaire mise en demeure préalable qui communique clairement et sans ambiguïté la décision de résoudre le contrat en précisant le motif de la décision c’est-à-dire les manquements reprochés.

  1. Mise en œuvre de la résolution

 Le nouveau Code civil apporte certaines modifications concernant la mise en œuvre de la résolution qui peut intervenir de 3 manières (article 5.90) :

  • Par décision de justice
  • Par application d’une clause résolutoire
  • Par notification du créancier au débiteur

A. Décision de justice (article 5.91)

Dans l’ancien Code, l’article  1184 prévoyait une intervention du Juge quoique la Cour de Cassation a admis la résolution unilatérale non judiciaire mais contrôlée a posteriori par le Juge ; une partie pouvait donc décider « de sa propre autorité et à ses propres risques, de ne plus exécuter ses obligations et de notifier à son cocontractant unilatéralement le contrat comme résolu » (Cass. 2 mai 2002, Pas. 2002, I, 264).

L’article 5.91 du nouveau Code civil prévoit que la résolution peut être demandée en justice ; le Juge pourra soit prononcer la résolution, soit accorder un délai au débiteur pour lui permettre d’exécuter ses obligations.

Cette option offre l’avantage de la sécurité puisque, le cas échéant, la résolution est prononcée par le Juge.

Mais elle présente un énorme inconvénient résultant des lenteurs de la justice !

Attendre plusieurs années pour obtenir une décision judiciaire définitive ne s’accommode évidemment pas de la situation de terrain vécue par l’architecte confronté à une inexécution grave et persistante des obligations du maître de l’ouvrage.

B. Clause résolutoire (article 5.92)

Cette clause reconnait au créancier le droit de résoudre le contrat sans intervention préalable du Juge, lorsque le débiteur manque à l’une de ses obligations.

Cette clause est mise en œuvre par une notification écrite au débiteur, qui indique les manquements reprochés.

L’architecte a donc intérêt à inscrire au contrat une telle clause qui lui permettra d’actionner rapidement la résolution du contrat.

Bien entendu, les motifs de résolution doivent être graves et le constat de l’inexécution doit être rapporté.

On peut citer, à titre exemplatif, le non-paiement des honoraires aux échéances prévues, nonobstant rappels ou encore l’immixtion préjudiciable du maître de l’ouvrage et la violation des prescriptions architecturales par ce dernier.

La clause doit être formulée clairement et sans ambigüité, particulièrement si le maître de l’ouvrage est un consommateur.

C. Résolution par notification (article 5.93)

Après avoir pris les mesures utiles pour établir l’inexécution du débiteur, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par une notification écrite au débiteur qui indique les manquements reprochés.

Dans cette hypothèse, la résolution ne se fonde pas sur une clause du contrat permettant le droit de résolution.

La décision est prise « aux risques et périls » du créancier ; la loi précise qu’une résolution non judiciaire, irrégulière ou abusive, sera inefficace si les conditions de la résolution ne sont pas remplies ou si elle est abusive (article 5.94).

Ce risque sera évité si la notification se fonde sur une clause résolutoire inscrite au contrat comme indiqué ci-avant.

  1. Conclusion

La relation contractuelle entre l’architecte et son client est complexe et fragile.

Le succès de l’opération est tributaire de multiples facteurs dont certains échappent à la prévision raisonnable lors de la conclusion du contrat.

La prudence recommande l’insertion de clauses résolutoires qui protègent l’architecte et lui confère le moyen efficace de mettre rapidement un terme à un contrat dont l’exécution est devenue impossible par la faute grave du maître de l’ouvrage et après de sérieuses mises en demeure.

On rappellera enfin qu’un droit s’exerce avec mesure proportionnée afin d’éviter tout abus.

Lorsque la résolution est validée, l’architecte a droit à ses honoraires pour les prestations accomplies outre l’indemnité prévue au contrat.

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