Article publié par Maître Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue ARCHITRAVE de février 2017 – n° 191

 

L’architecte est un gestionnaire de risque ; son métier et son art, au service d’un maître de l’ouvrage doivent s’accommoder de contraintes techniques, juridiques et administratives.

Certaines peuvent être décelées mais d’autres demeurent difficilement quantifiables, voire indentifiables au moment où l’architecte se livre à une étude de faisabilité dans le contexte de l’avant-projet.

Le projet ou le programme proposé sera-t-il reçu favorablement par l’obtention d’un permis d’urbanisme ?

Quelles seront les impositions de l’Administration parfois arbitraire ?

L’architecte ne réalise pas le projet tout seul comme le ferait un artiste devant sa toile.

Il doit enregistrer des paramètres largement tributaires des tiers qui interviendront dans le processus de la construction : le maître de l’ouvrage aura-t-il les fonds disponibles en temps utile ?

Exigera-t-il des modifications en cours d’exécution qui ne sont pas prévisibles ?

L’entrepreneur restera-t-il solvable jusqu’à la réception et même après ?

Est-il réellement compétent et diligent et disposera-t-il en tout temps des accès à la profession ?

Comment réagiront les voisins ?

Quelles seront les performances énergétiques incontournables ?

A quoi faut-il s’attendre de la part du service d’incendie ?

Et si le projet doit être soumis à une Commission de Concertation, à quoi peut-on s’attendre ?

Ces questions pointées au hasard et bien d’autres génèrent non seulement des risques, mais surtout des incertitudes, c’est-à-dire une ignorance involontaire et compréhensible du futur.

 

Face à cette situation quelle doit être la bonne attitude de l’architecte ?

Il me semble que celui-ci doit avant tout expliquer à son client que son projet sera nécessairement soumis à ces risques et incertitudes ; cette précaution doit être formulée (de préférence par écrit) dès le début de la relation : construire (ou transformer) constitue une aventure même si les progrès technologiques ont réduit considérablement les risques tout en en créant de nouveaux.

Il s’agit  d’informer et de s’informer au maximum pour réduire l’espace d’incertitude et de risque et communiquer le fruit de ces informations en temps utile c’est-à-dire avant que des décisions irréversibles ne soient prises.

Par exemple : en matière de budget l’estimation du coût donnée par l’architecte et inscrite dans le contrat d’architecture doit être validée lors des opérations de soumission et d’adjudication.

Voici la clause que je suggère d’insérer dans le contrat :

« le coût des travaux ne sera définitivement fixé qu’au moment de l’adjudication. Entre-temps, l’architecte estime, sur base de l’étude de faisabilité, que le coût approximatif des travaux s’élève à …. Euros. Cette estimation toutefois ne comprend pas … .

Cette estimation sera comparée aux offres des entreprises retenues au cours des opérations de soumission.

Une tolérance de 10% est admise.

Si l’écart entre l’estimation précitée et les offres des entrepreneurs dépasse 10 %, les parties envisageront les adaptations nécessaires (soit majoration des moyens financiers du maître de l’ouvrage, soit modification du projet en vue de réaliser des économies).

Si les parties ne peuvent trouver une solution, chacune d’elles pourra résilier le contrat moyennant paiement à l’architecte des honoraires qui lui sont dus en vertu du présent contrat pour toutes les tranches exigibles jusqu’au stade « opérations de soumissions » sans autre dédommagement ou indemnité pour les parties ».

La rédaction du contrat d’architecture et son exécution doivent ainsi être conçues avec un maximum de souplesse et de flexibilité pour rencontrer les aléas inhérents à tout projet immobilier.

 

Quelles sont les obligations de l’architecte en ce domaine ?

Il n’est pas inutile de rappeler qu’en principe l’architecte est tenu à des obligations de moyens et non à une obligation de résultat.

 

Pourtant il me paraît essentiel que l’architecte avertisse son client et le prévienne en temps utile des risques et incertitudes auxquels les parties seront confrontées tôt ou tard.

Ceci fait partie du devoir de conseil qui anime la mission architecturale.

 

Quelle est la responsabilité de l’architecte ?

Les risques, aléas et incertitudes n’entrainement pas ipso facto la responsabilité de l’architecte.

Celle-ci sera appréhendée en fonction des informations recueillies par l’architecte, communiquées au client et aux tiers concernés (notamment l’entrepreneur).

Il sera tenu compte du traitement de ces informations par l’architecte.

La jurisprudence, notamment de la Cour d’appel de Liège fournit de bons exemples à cet égard concernant la délicate question de la nature du sol et du sous-sol.

L’architecte sera responsable si son projet n’est pas conçu en adéquation avec la nature du sous-sol et pour ce faire des essais de sol et le recours à un ingénieur sont des précautions élémentaires.

L’architecte peut également encadrer sa responsabilité en fixant les limites de son intervention : par exemple sera-t-il engagé dans la recherche des primes et des subsides ?

S’il avertit le maître de l’ouvrage que l’entrepreneur doit disposer des accès à la profession devra-t-il lui-même vérifier cet accès lors du paiement de chaque facture ou pourra-t-il délaisser cette tâche au maître de l’ouvrage en l’ayant préalablement prévenu ?

L’architecte est-il chargé de l’aménagement des abords ?

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On nous apprend que l’homme sera de plus en plus confronté aux risques et aux incertitudes ; il parait que 65% des enfants qui fréquentent l’école primaire exerceront un métier qui n’existe pas encore.

Gérer le risque et l’incertitude dans une société en perpétuelle mutation est devenu monnaie courante.

Ces nouvelles données sociétales ne feront qu’accentuer la gestion des risques et des incertitudes pour l’architecte.