Article publié par Me JP. VERGAUWE dans la revue ARCHITRAVE de décembre 2014

 

La Cour d’appel de Liège a rendu le 16 juin 2014 un arrêt intéressant dans une affaire opposant une copropriété à un promoteur immobilier et son architecte suite à des malfaçons, vices et inachèvements affectant les parties communes d’un immeuble (référence : Justel F-20140619-9).

La Cour était appelée notamment à se prononcer sur la responsabilité de l’architecte au regard des principes d’indépendance et de monopole de l’architecte.

En effet, la copropriété reprochait à l’architecte d’une part son manque d’indépendance par rapport au promoteur, et d’autre part le fait d’avoir délaissé au promoteur une partie de sa mission légale au détriment des futurs acquéreurs.

Après avoir rappelé les principes du monopole de l’architecte consacré par l’article 4 de la loi du 20 février 1939 et de l’indépendance de l’architecte à l’égard de l’entrepreneur comminée par l’article 6 de la loi du 20 février 1939, la Cour décide ce qui suit :

« Au regard de ces principes, la licéité de la collaboration entre l’architecte et le promoteur reste admise à condition que l’architecte ne soit pas lié contractuellement à la fois au promoteur et aux clients de celui-ci.

L’analyse du respect de l’indépendance de l’architecte doit se faire au cas par cas, en vérifiant si les relations nouées entre l’entrepreneur – promoteur et l’architecte sont telles qu’elles rendent impossible, in concreto, l’exercice par l’architecte de sa mission en toute indépendance ».

La Cour relève qu’en l’espèce l’architecte est intervenu uniquement comme architecte du promoteur et que, à cet égard, il n’existait aucune ambigüité vis-à-vis des acquéreurs des biens qui n’ont pas contracté avec l’architecte.

Par ailleurs la Cour relève que l’architecte produit de nombreux procès-verbaux de chantier qui attestent du contrôle effectif de l’exécution des travaux et conclut « son manque d’indépendance par rapport au promoteur n’est pas démontré ».

En ce qui concerne le respect du monopole, la Cour constate que la mission de l’architecte était limitée au gros-œuvre fermé et que l’architecte ne réalisa pas le cahier des charges ni le métré, en assumant toutefois les réunions de chantier pour la partie gros-œuvre fermé.

La Cour rappelle que l’architecte ne peut se départir de sa mission de conception, ni du contrôle d’exécution des travaux et que la conception comprend non seulement l’établissement des plans pour l’obtention du permis de bâtir, mais également les plans d’exécution et de détail.

Toutefois, l’interdiction d’accepter des missions incomplètes ne s’applique qu’aux travaux visés par l’article 4 de la loi du 20 février 1939, à savoir ceux pour lesquels un permis d’urbanisme est obligatoire.

Et la Cour ajoute « sur base de cette loi, l’architecte peut donc en principe limiter son intervention au gros œuvre fermé ».

La Cour constate d’ailleurs que dans les faits l’architecte a rempli sa mission  de contrôle de l’ensemble des travaux sans se limiter aux gros-œuvre fermé.

La Cour relève également qu’il avait été convenu entre le promoteur et l’architecte que ce dernier ne rédigerait pas le cahier des charges.

La Cour estime que la rédaction du cahier des charges par le maître de l’ouvrage professionnel n’enfreint pas nécessairement le monopole de l’architecte.

Cependant « lorsque le promoteur procède lui-même à la rédaction du cahier des charges, l’architecte a néanmoins l’obligation de vérifier le contenu de celui-ci et de veiller à ce qu’il soit adapté aux dispositions et normes techniques des travaux à exécuter ».

En outre, l’architecte « restera responsable des vices de conception de l’ouvrage dès lors qu’en abandonnant au maître de l’ouvrage la rédaction du cahier des charges, l’architecte ne s’est pas départi de sa mission de conception mais conservait l’obligation d’en vérifier l’exactitude ».

La délégation de mission concernant la rédaction du cahier des charges est donc limitée par des conditions très strictes, à savoir  l’architecte doit vérifier le contenu du cahier des charges rédigé par le promoteur et vérifier que ce cahier des charges ne contient pas d’inexactitudes ou de vices de conception.

La Cour d’appel de Liège confirme ainsi une jurisprudence et une pratique reconnue et légitime lorsque l’architecte œuvre pour un maître de l’ouvrage professionnel (en l’occurrence un promoteur), à savoir :

  1. L’architecte ne peut évidemment être en même temps l’architecte du client du promoteur.
  2. L’architecte peut limiter sa mission légale au gros-œuvre fermé.
  3. L’architecte peut accepter que le cahier des charges soit rédigé par le promoteur à condition toutefois d’en vérifier l’exactitude.

On notera, enfin, que dans cette affaire la Cour d’appel de Liège a également été appelée à statuer concernant l’absence de dossier d’intervention ultérieure.

L’architecte, on le sait, est considéré par la loi comme une personne concernée et est donc impliqué personnellement dans le respect des dispositions légales en matière de bien être des travailleurs.

Il y va notamment de la rédaction du D.I.U. et de sa remise au maître de l’ouvrage.

La Cour d’appel relève :

« Le D.I.U. et les documents « as built » n’ont pas été fournis.

La raison est à rechercher dans l’absence de désignation d’un coordinateur de sécurité, lequel devait se charger de rédiger le dossier d’intervention ultérieure ».

La Cour rappelle que l’obligation de désignation du coordinateur sécurité repose sur le maître de l’ouvrage promoteur, mais que « toutefois l’architecte devait veiller non seulement à ce que le coordinateur soit désigné mais également à ce qu’il exécute sa mission, au besoin en le mettant en demeure, ce qu’il n’a pas fait et qui est à l’origine d’absence de confection, en cours de chantier, de ce DIU ».

La Cour retient la responsabilité de ce manquement in solidum  dans le chef de l’architecte et du promoteur et les condamne à verser une somme de € 2.000,00 estimée par l’expert judiciaire pour la confection du D.I.U.

 

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