Article publié par Me JP VERGAUWE dans la revue Architrave du mois de juillet 2008

 

Les architectes ont souvent l’impression d’exercer une profession particulièrement exposée en termes de responsabilité, ce qui est exact et, de surcroît, de supporter les responsabilités des autres intervenants à l’acte de bâtir, ce qui est malheureusement souvent le cas notamment en raison de la condamnation in solidum.

Comment se protéger face à cette situation et limiter si possible les effets pervers de la condamnation in solidum ?

Voici quelques outils qui pourront se révéler efficaces.

1. Une première batterie de protection réside dans les dispositions contractuelles qu’il convient de rédiger avec attention pour protéger l’architecte.

Exemple : la situation de carence de l’entrepreneur, qui engendre des prestations supplémentaires de la part de l’architecte, peut être rencontrée par une disposition adéquate dans le contrat d’architecture qui stipulera que toute prestation supplémentaire de l’architecte notamment requise par la carence de l’entrepreneur, sera payée par le maître de l’ouvrage en régie suivant un taux horaire convenu. Dans le cahier des charges, parallèlement, il suffira d’indiquer qu’en cas de carences de l’entrepreneur, celui-ci remboursera au maître de l’ouvrage les frais et dépenses supplémentaires occasionnés de ce fait et, notamment, les honoraires et frais de l’architecte ; ainsi le maître de l’ouvrage pourra retenir à l’entrepreneur les honoraires qu’il versera à son architecte, de ce chef.

Exemple : lorsque l’entrepreneur est en défaut de terminer les travaux ou disparaît dans la nature, une clause du contrat d’architecture peut stipuler que l’architecte, dans ce cas, dressera un procès-verbal de carence qui vaudra à son égard réception provisoire et constituera le point de départ de sa responsabilité décennale. Ce faisant, l’architecte se désolidarise d’un entrepreneur défaillant.

Exemple : le contrat d’architecture peut modaliser la responsabilité de l’architecte par des clauses licites qui rejettent l’in solidum ou qui confirme le point de départ de la responsabilité décennale à la réception provisoire.

2. L’architecte peut se défendre et protéger en même temps les intérêts légitimes du maître de l’ouvrage, en maîtrisant l’évolution budgétaire du projet : le contrôle serré des états d’avancement, les retenues sur facture, sans oublier la constitution de garantie bancaire ou de cautionnement et la souscription par l’entrepreneur d’assurances couvrant sa responsabilité civile professionnelle constituent autant de leviers efficaces à cet égard.

3. Depuis la loi Laruelle, le statut juridique de l’architecte lui permet enfin de constituer une société qui protège son patrimoine en ce que cette société sera elle-même architecte, inscrite à l’Ordre et investie de la mission et des responsabilités de l’architecte. Les conditions pour obtenir ce résultat sont fixées par la loi Laruelle du 15 février 2006 et l’arrêté royal du 25 avril 2007, ainsi que par la recommandation de l’Ordre des Architectes du 27 avril 2007.

4. On entend souvent dire qu’un entrepreneur indélicat ou incompétent peut se mettre en faillite et échapper ainsi à ses responsabilités, quitte à continuer son entreprise sous une autre appellation.

C’est oublier un peu vite la responsabilité personnelle des administrateurs et gérants de société.

Dans un récent arrêt inédit prononcé le 21 février 2007 (rôle général 2004/AR/989), la 2e Chambre de la Cour d’Appel de Bruxelles a rappelé ce principe en condamnant l’administrateur d’une société coopérative d’entreprise, confirmant sa condamnation poursuivie par le maître de l’ouvrage du chef de surfacturation ; voici comment s’exprime la Cour :

« Madame W. poursuit la condamnation de Monsieur B., administrateur de la société coopérative B., au paiement de ce dernier montant à titre de dommages et intérêts, sur la base de sa responsabilité aquilienne, dès lors que l’entreprise a été déclarée en faillite par jugement du Tribunal de Commerce de Mons du 8 février 1992.

Un tiers, créancier d’une société, peut mettre en cause la responsabilité extra-contractuelle d’un administrateur pour autant qu’il établisse que les faits reprochés ne constituent pas uniquement un manquement à une obligation contractuelle mais, en outre, une faute aquilienne, c’est-à-dire une infraction pénale ou un manquement à une norme de comportement qui s’impose à tous, comme le devoir de loyauté, de prudence, de diligence et de compétence. Par ailleurs, le dommage subi par le tiers doit trouver sa cause dans la commission de cette faute et être distinct de celui qui résulterait du manquement contractuel.

A bon droit le premier juge a considéré que la surfacturation relevait à tout le moins d’une négligence coupable de Monsieur B. (sinon d’un comportement incompatible avec celui qu’aurait adopté tout autre administrateur normalement prudent et avisé, placé dans les mêmes circonstances), engageant sa responsabilité aquilienne à concurrence du trop perçu de 4.829.083 FB ; ce montant constitue le préjudice subi ; celui-ci découle directement et nécessairement de la surfacturation et est distinct de celui qui résulte de l’inexécution des obligations contractuelles de l’entrepreneur.

En vain Monsieur B. tente-t-il de s’exonérer au motif que ni les travaux ni la surfacturation n’ont fait l’objet de remarques de la part de l’architecte. Cette situation n’élude en rien la responsabilité de Monsieur B., auteur de la surfacturation.

Par ailleurs, le résultat des vérifications minutieuses par l’expert, poste par poste, des montants facturés va à l’encontre de la thèse de Monsieur B. selon laquelle il n’a fait que facturer le coût des modifications répétées et travaux supplémentaires imposés par Madame W. en cours de chantier.

Enfin, la circonstance que Madame W. aurait fait de substantielles économies en bénéficiant d’un taux de TVA à 6% au lieu de 21% ne fait pas obstacle à la réalité du préjudice qu’elle a subi du fait de la surfacturation. »


En conclusion, les quelques exemples présentés ci-avant sans souci d’exhaustivité démontrent que l’architecte dispose d’un arsenal de mesures variées et efficaces pour se protéger et défendre en même temps les intérêts légitimes de son client.

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