Article publié par Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue Architrave n° 205 de décembre 2020.

La loi du 4 février 2020 portant le livre III « Les biens » du Code civil entrera en vigueur le 1er septembre 2021.

La réforme vise une intégration de dispositions légales éparses, notamment du Code civil (droit de propriété et de copropriété), les droits réels d’usage (servitudes et usufruit), les suretés réelles, les droits de superficie et d’emphytéose, le droit rural et diverses autres dispositions légales, notamment en ce qui concerne les objets trouvés.

Il devrait en résulter une meilleure lecture de la loi et donc une sécurité accrue.

Le droit des biens doit être fonctionnel et non purement conceptuel.

Les textes doivent pouvoir être utilisés de façon aisée et dans une plus grande transparence.

C’est la raison pour laquelle le législateur a opéré des simplifications et des rationalisations.

Par ailleurs le droit des biens a subi un lifting et une modernisation, notamment en ce qui concerne le droit d’usufruit afin de le rendre plus adapté aux montages immobiliers et aux dispositions successorales notamment.

Enfin, le nouveau droit des biens sera plus flexible en ce sens que la plupart des dispositions ne sont plus d’ordre public mais simplement supplétives, sauf si la loi en dispose autrement, ce qui confère aux parties une plus grande liberté contractuelle.

On observera cependant que beaucoup de règles sont dorénavant moins tranchées et plus nuancées que par le passé.

Parmi les nouveautés on épinglera au passage les droits accordés aux animaux : « Les animaux sont doués de sensibilité et ont des besoins biologiques. Les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux dans le respect des dispositions légales et réglementaires qui les protègent et de l’ordre public » (article 3.39 du nouveau Code).

D’autre part le droit de propriété n’est plus absolu.

L’actuel article 544 du Code civil dispose : « La propriété et le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Cet absolutisme du droit de propriété était depuis fort longtemps battu en brèche par la doctrine et la jurisprudence.

Le législateur consacre cette évolution.

Le propriétaire ne peut plus disposer de son droit de la manière la plus absolue.

Des restrictions sont apportées à l’exercice de ce droit ; ainsi l’article 3.50 définit le droit de propriété comme suit : « Le droit de propriété confère directement au propriétaire le droit d’user de ce qui fait l’objet de son droit, d’en avoir la jouissance et d’en disposer. Le propriétaire à la pleine étude des prérogatives, sous réserve des restrictions imposées par les lois, les règlements ou par les droit de tiers ».

L’article 3.101 consacré aux troubles anormaux de voisinage dispose en son paragraphe 1er : « Les propriétaires voisins ont chacun droit à l’usage et à la jouissance de leur bien immeuble. Dans l’exercice de l’usage et de la jouissance, chacun d’eux respecte l’équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage et qui lui est imputable ».

L’étendue verticale de la propriété foncière est également bridée ; l’article 3.63 dispose : « Sous réserve d’autres dispositions du présent livre, le droit de propriété sur le fonds s’étend uniquement à une hauteur au-dessus ou à une profondeur en-dessous du fonds qui peut être utile à l’exercice des prérogatives du propriétaire. Ce dernier ne peut dès lors pas s’opposer à un usage par un tiers à une hauteur ou une profondeur à laquelle il ne pourrait raisonnablement exercer sa prérogative d’usage, vu la destination et la situation du fonds… ».

L’empiètement d’un ouvrage en partie sur, au-dessus ou en-dessous du fonds voisin est également réglementé (article 3.62).

La servitude de tour d’échelle est désormais inscrite dans la loi à l’article 3.67 §2 : « Le propriétaire d’un immeuble doit, après notification préalable, tolérer que son voisin ait accès à son bien immeuble si cela est nécessaire pour l’exécution de travaux de construction ou de réparation ou pour réparer ou entretenir la clôture non mitoyenne, sauf si le propriétaire fait valoir des motifs légitimes pour refuser cet accès. Si ce droit est autorisé il doit être exercé de la manière la moins dommageable pour le voisin.Le propriétaire a droit à une compensation s’il a subi un dommage ».

L’innovation la plus remarquable de la loi du 4 février 2020 porte sur le titre V intitulé « Relations de voisinage » et qui comporte la matière de troubles d voisinage, la clôture mitoyenne et les servitudes.

En ce qui concerne les troubles de voisinage j’ai déjà cité l’article 3.101 §1 qui confirme la jurisprudence et la doctrine concernant l’usage et la jouissance d’un bien qui doit respecter l’équilibre établi en ne causant pas aux voisins un trouble excédant la mesure des inconvénients normaux de voisinage.

Cette même disposition précise que : « Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances d’espèce, tels le moment, la fréquence et l’intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d’où le trouble causé provient ».

On connait les difficultés d’appréciation d’un trouble réputé excessif.

Le Juge doit notamment tenir compte de l’équilibre établi préexistant à la naissance du trouble.

Il doit également déterminer l’atteinte ou le trouble à cet équilibre en faisant référence à une situation préexistante.

Il convient également de déterminer si et dans quelle mesure le trouble peut être qualifié d’excessif par rapport aux inconvénients normaux de voisinage.

Le Tribunal tiendra compte notamment de la préoccupation, de la prédisposition, de la vétusté, de la plus-value, de l’acceptation du risque, etc…

Il s’agit là d’une matière complexe et nuancée.

Le législateur invite le Juge à tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce et fournit à titre purement exemplatif quelques éléments qui lui permettent de prendre sa décision.

Celui qui rompt l’équilibre est tenu de le rétablir.

A cet égard, les mesures ordonnées par le Juge qui sont adéquates pour rétablir l’équilibre sont définies à l’article 3.101 §2, à savoir :

« 1. L’indemnité pécuniaire pour compenser le trouble excessif.

2. Une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l’immeuble troublé pour ramener le trouble à un niveau normal.

3. Pour autant que cela ne crée par un nouveau déséquilibre et que l’usage et la jouissance normaux de l’immeuble ne soient pas ainsi exclus, l’interdiction du trouble rompant l’équilibre ou démesuré, concernant l’immeuble causant le trouble, pour ramener le trouble à un niveau normal ».

Le pouvoir du Juge est donc étendu.

L’article 301 §3 dispose que : « Si l’un ou les deux biens immeubles voisins sont grevés d’un droit en faveur d’un tiers, qui dispose d’un attribut du droit de propriété, les paragraphes 1 et 2 s’appliquent à ce tiers pour autant que le trouble soit causé par l’exercice de l’attribut et pouvant lui être imputé ».

Cela vise notamment la situation des locataires ou titulaires de droits réels.

D’autre part : « Si le trouble résulte de travaux autorisés expressément ou tacitement par le propriétaire concerné ou le titulaire de l’attribut du droit de propriété, il est réputé lui être imputable ».

Cette situation concerne le maître de l’ouvrage.

Enfin l’action pour trouble anormal de voisinage se prescrit par 5 ans conformément à l’article 2262 bis §1 alinéas 2 et 3 de l’ancien Code civil.

Cette prescription court à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable.

On notera enfin que dorénavant une action peut être entamée en vue de prévenir des troubles anormaux de voisinage : « Si un bien immeuble occasionne des risques graves et manifeste en matière de sécurité, de santé ou de pollution à l’égard d’un immeuble voisin, rompant ainsi l’équilibre entre les biens immeubles, le propriétaire ou l’occupant de ce bien immeuble voisin peut demander en justice que des mesures préventives soient prises afin d’empêcher que le risque se réalise ».

Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur les nouvelles dispositions légales en matière de clôture et de servitude.

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