Article publié par Me JP. VERGAUWE dans le numéro du mois de septembre 2007 de la revue Architrave
Dans notre précédente chronique, nous avons analysé la nouvelle loi du 20 février 1939 telle qu’elle se trouve modifiée par la loi Laruelle du 15 février 2006.
Le nouvel article 9 de la loi du 20 février 1939 impose à toute personne physique ou morale, autorisée à exercer la profession d’architecte et dont la responsabilité, en ce compris la responsabilité décennale, peut être engagée en raison des actes qu’elle accomplit à titre professionnel ou des actes de ses préposés à être couverte par une assurance. Cette assurance peut s’inscrire dans le cadre d’une assurance globale pour toutes les parties intervenant dans l’acte de bâtir.
La loi du 15 février 2006 est entrée en vigueur le 1e juillet 2007 (article 8 de l’Arrêté Royal du 25 avril 2007).
Cet Arrêté Royal comporte les dispositions légales applicables désormais aux modalités et conditions de l’assurance qui doit permettre une couverture adéquate du risque au bénéfice du maître de l’ouvrage ; tout contrat d’assurance de la responsabilité civile professionnelle de l’architecte devra contenir les garanties au moins conformes aux conditions minimales déterminées par cet Arrêté Royal.
1° Objet de la couverture d’assurance
L’assurance doit couvrir la responsabilité civile résultant de l’activité d’architecte pour autant qu’elle concerne les travaux exécutés et les prestations délivrées en Belgique (article 2).
Les activités et prestations de l’architecte à l’étranger ne sont donc pas visées.
Par contre, toutes les activités compatibles avec l’exercice de la profession d’architecte semblent bien concernées par l’obligation d’assurance ; celle-ci ne se limite donc pas aux prestations qui entrent dans le monopole légal de l’architecte au sens strict (conception et contrôle de l’exécution des travaux) mais s’étend aussi à toutes les activités licites de l’architecte (consultation, assistance technique, activité de syndic, expertise, etc.).
2° Personnes assurées
L’article 3 de l’Arrêté Royal considère comme assurés « toute personne physique ou morale autorisée à exercer la profession d’architecte mentionnée dans le contrat d’assurance ainsi que ses préposés. » Sont assimilés aux préposés « le personnel, les stagiaires et autres collaborateurs d’une personne physique ou morale » lorsqu’ils agissent pour le compte de l’architecte personne physique ou morale.
Sont également couverts dans le cas d’une personne morale les administrateurs, gérants, membres de comité de direction et « tous les autres organes de la personne morale chargés de la gestion ou de l’administration de la personne morale quelle que soit la dénomination de leur fonction, lorsqu’ils agissent pour le compte de la personne morale dans le cadre de l’exercice de la profession d’architecte ». Il faut en retenir que toute personne qui, à un titre ou à un autre, agit pour le compte d’un architecte (qu’il soit personne physique ou société), dans le cadre de l’exercice de la profession d’architecte, devra être assurée.
3° La couverture de la responsabilité civile
L’article 4 définit les conditions minimales de cette couverture concernant les montants assurés.
4° Exclusions
L’article 5 définit limitativement les exclusions de la couverture, à savoir :
1° les dommages résultant de la radioactivité ;
2° les dommages résultant de lésions corporelles suite à l’exposition aux produits légalement interdits.
Certes, les exclusions autorisées par la loi sur les assurances terrestres demeurent valables.
5° Application dans le temps
L’assurance de la responsabilité civile de l’architecte suscite des questions délicates concernant l’application de l’assurance dans le temps ; en effet, s’agissant d’une assurance de responsabilité, la notion de sinistre varie suivant la définition de l’événement qui entraîne la couverture de l’assurance : s’agit-il de la faute commise par l’assuré, ou du dommage que cette faute a entraîné, ou encore de la réclamation formulée par la victime ? L’article 6 de l’Arrêté Royal prescrit que « la garantie d’assurance porte sur les demandes en réparation formulées par écrit à l’encontre des assurés ou de l’entreprise d’assurance pendant la durée du contrat d’assurance sur la base d’une responsabilité couverte dans ce contrat et qui ont trait aux dommages survenus durant la même durée ». Il y a donc une double condition : la demande en réparation doit être formulée par écrit durant la durée du contrat d’assurance et le dommage doit être survenu durant cette même durée.
Toutefois l’alinéa 2 de l’article 6 ajoute « la garantie s’étend aux demandes en réparation formulées dans un délai de dix ans à compter du jour où il est mis fin à l’inscription au tableau de l’Ordre des Architectes ».
Cette règle est particulièrement malheureuse et provoque une inquiétude légitime de la part des assureurs.
Non seulement elle sera dans certains cas très difficile à appliquer mais, en outre, elle entraîne une extension tout à fait incompréhensible de la période de couverture d’assurance.
De toute manière, les dispositions d’un Arrêté Royal ne peuvent contrevenir à une loi, a fortiori lorsque celle-ci est d’ordre public ; or, les articles 1792 et 2270 du Code Civil ont limité la responsabilité de l’architecte à une période de dix ans à compter de la réception des travaux (la jurisprudence reconnaît que la réception provisoire peut constituer valable point de départ de la responsabilité décennale, à condition que les parties l’aient convenu en attachant à cette réception provisoire un effet d’agréation).
Ces dispositions qui étendent la responsabilité contractuelle de l’architecte au-delà de la réception pour une période de dix ans sont d’ordre public.
En conséquence, il nous paraît que le délai de dix ans à compter du jour où il est mis fin à l’inscription au tableau de l’Ordre des Architectes, visé à l’article 6, alinéa 2, de l’Arrêté Royal, devrait nécessairement s’inscrire dans le délai de la responsabilité décennale, visée aux articles 1792 et 2270 du Code Civil. Certes, ces deux dispositions légales visent des délais différents (les articles 1792 et 2270 concernent la responsabilité de l’architecte et l’article 6, alinéa 2, de l’Arrêté Royal du 25 avril 2007 concerne le délai de garantie d’assurance), cependant, on voit mal comment une assurance devrait poursuivre sa garantie alors que l’objet même de cette couverture, à savoir la responsabilité de l’architecte n’existerait plus !
6° Attestation d’assurance
L’article 7 de l’Arrêté Royal du 25 avril 2007 organise la publicité de l’assurance :
a. la compagnie d’assurance doit délivrer, au plus tard le 31 mars de chaque année au Conseil de l’Ordre des Architectes, une liste électronique reprenant les architectes qui ont conclu un contrat d’assurance ;
b. la compagnie ou l’architecte ne peut résilier un contrat d’assurance sans avoir préalablement averti le Conseil de l’Ordre des Architectes compétent par recommandé ou courrier électronique au plus tard quinze jours avant la prise d’effet de la résiliation ;
c. chaque trimestre, la compagnie transmet au Conseil de l’Ordre une liste électronique des contrats d’assurance résiliés, suspendus ou dont la couverture est suspendue;
d. tout contrat d’architecture doit obligatoirement reprendre le nom de la compagnie d’assurance de l’architecte, le numéro de sa police et les coordonnées du Conseil de l’Ordre des Architectes qui peut être consulté dans le cadre du respect de l’obligation d’assurance.
L’avenir dira quelles seront les conséquences pour les architectes de l’application de ces dispositions légales ; les assureurs se montrent plutôt sceptiques et inquiets.
Des augmentations de prime ne sont pas à exclure.
7° Sanctions
Rappelons que la loi du 15 février 2006 impose diverses sanctions, à savoir :
a. Article 9 de la loi du 20 février 1939 :
Lorsque la profession d’architecte est exercée par une personne morale, tous les gérants, administrateurs, membres du comité de direction et mandataires indépendants qui interviennent en son nom et pour son compte sont solidairement responsables des primes d’assurance. En outre, lorsque la personne morale n’est pas couverte par une assurance, les administrateurs, gérants et membres du comité de direction sont solidairement responsables envers les tiers de toute dette qui résulte de la responsabilité décennale.
Il en résulte que, à défaut d’assurance valable, la personne morale perd toute efficacité concernant la protection du patrimoine des administrateurs gérants et membres du comité de direction ; cette personne morale redevient « transparente » et les tiers peuvent donc agir directement contre les administrateurs, gérants et membres du comité de direction.
b. Article 11 de la loi du 20 février 1939 :
Il inflige une sanction pénale à celui « qui exerce la profession d’architecte sans avoir préalablement assuré sa responsabilité civile ». Cette peine est également infligée à la personne morale qui exerce sa profession sans être assurée.
Il résulte de cet ensemble de dispositions que l’absence d’assurance dans le chef de l’architecte, personne physique ou morale, sera désormais sévèrement réprimée tant sur le plan civil que sur le plan pénal.