Article publié par Me JP VERGAUWE dans la revue Architrave du mois de décembre 2007
La loi du 20 février 1939 a subi de profondes modifications suite à la loi LARUELLE du 15 février 2006.
Cependant, l’article 6 de la loi du 20 février 1939 est demeuré inchangé : « L’exercice de la profession d’architecte est incompatible avec celle d’entrepreneur de travaux publics ou privés ».
L’interdiction pour l’architecte d’exercer la profession d’entrepreneur est d’ordre public, c’est-à-dire qu’il n’est pas permis d’y déroger.
La motivation de cette règle doit être recherchée dans l’économie générale de la loi du 20 février 1939 ; dès lors que l’architecte se voit reconnaître un monopole légal de la conception et du contrôle de l’exécution des travaux, et qu’il est donc chargé de contrôler les travaux exécutés par l’entrepreneur, il convenait d’assurer une indépendance entre l’architecte et l’entrepreneur.
Le contrôleur, en effet, ne peut être confondu avec le contrôlé.
L’indépendance de l’architecte est la condition d’effectivité de son monopole.
Cependant, cette règle constitue une restriction à la liberté du citoyen en matière d’activité économique ; elle doit donc demeurer de stricte interprétation et ne peut être appliquée qu’en relation étroite et directe avec l’objectif poursuivi, rappelé ci-avant.
L’article 6 de la loi du 20 février 1939 ne vise que la profession d’entrepreneur de travaux publics ou privés ; c’est donc uniquement vis-à-vis de cette activité que l’incompatibilité est dressée.
Il en résulte que l’on ne peut interdire à un architecte d’exercer toute activité qui n’est pas sensu stricto une entreprise de travaux publics ou privés. Ce principe a été, à plusieurs reprises confirmé par la Cour de Cassation (cf. notamment les arrêts des 17 février 1969, 14 octobre 1994, 10 septembre 1976, etc…)
L’activité de promotion immobilière ne peut être a priori confondue avec celle d’entrepreneur de travaux.
Il arrive certes que des entrepreneurs deviennent promoteurs, mais il existe de nombreuses situations dans lesquelles le promoteur agit exclusivement comme maître de l’ouvrage professionnel, sans exercer, par lui-même, la profession d’entrepreneur, sans exécuter les travaux qui seront soumis au contrôle de l’architecte.
Il faut même reconnaître que le promoteur est a l’opposé de l’entrepreneur dans la mesure où ce dernier est un exécutant alors que le promoteur se caractérise précisément par l’initiative qu’il assume dès l’origine du projet et qu’il déploie tout au long de son exécution.
Cependant, on constate que la jurisprudence de l’Ordre des Architectes reste fixée sur une interprétation extensive de l’article 6 auquel elle se réfère pour fonder une interdiction faite à l’architecte belge de supporter le risque de gain ou de perte lié à une activité de promotion immobilière (cf. notamment une récente décision rendue par le Conseil d’appel d’expression française, en date du 21 novembre 2007 – décision inédite).
En réalité, le fondement de cette interdiction ne trouve pas sa source dans l’article 6 de la loi du 20 février 1939, mais dans un principe déontologique suivant lequel il existe une incompatibilité entre la profession libérale d’architecte et l’activité de commerçant. Cette interdiction ne figure dans aucune disposition légale, ni même dans le règlement de déontologie approuvé par l’Arrêté Royal du 18 avril 1985.
Il n’est cependant pas interdit de remettre en question la dichotomie traditionnelle qui existe entre la profession dite libérale et l’activité de commerçant.
De nombreuses voix et non des moindres se sont élevées depuis bien longtemps pour permettre un élargissement de l’activité professionnelle de l’architecte à la promotion immobilière (cf. l’article de Jean-Marie FAUCONNIER, ancien Président du Conseil National de l’Ordre des Architectes, paru dans la revue Architecture et vie n° 31 de mars 1989) « Vu sous l’angle européen on est bien forcé de constater que l’architecte belge est sans doute l’un des rares à être enveloppé par les carcans de la profession libérale telle que nous avons encore coutume de la comprendre ».
Monsieur Jos LEYSEN, actuel Président du Conseil National écrit dans un article paru dans la revue Architexte de janvier-février 2006 : « D’autres règles (NDLR : c’est-à-dire des règles différentes de l’article 6 de la loi du 20 février 1939), que l’on peut interpréter comme étant plutôt corporatistes, ne peuvent pas du tout être considérées comme étant d’intérêt public et sont totalement inacceptables aux yeux des autorités de la concurrence. Elles n’ont pas de portée sociale et ne sont dès lors pas publiquement défendables. Plus encore, nous pourrions même nous poser la question de savoir si pour les autorités publiques et pour le consommateur, l’indépendance de l’architecte dans l’acte de construire est encore souhaitable. Continuer à se baser sur cet a priori est peut-être une attitude prétentieuse et affaiblit même notre position sociale. Un débat sur ce sujet semble certainement justifié. L’ouverture du marché européen nous a appris que la restriction de l’indépendance n’existe pas du tout chez nos voisins… ».
Il semble donc exister une certaine contradiction entre, d’une part l’application de certains principes déontologiques qui interdisent toujours à l’architecte belge de pratiquer la promotion immobilière et d’autre part le souhait exprimé par de nombreux architectes et relayé par les plus hauts représentants de l’Ordre National de permettre enfin à l’architecte de redéployer son activité en l’autorisant à exercer la profession de promoteur immobilier (sans entrainer pour autant l’exercice d’une activité d’entrepreneur qui reste incompatible avec la profession d’architecte contrôleur des travaux).
Cette tendance et ces souhaits doivent être approuvés. Ne voit-on pas, du reste, certains grands bureaux d’architectures pratiquer ouvertement les activités de promoteur immobilier sans être pour autant sanctionnés ?
Comment peut-on accepter, d’autre part, que l’architecte belge demeure enfermé dans des carcans surannés et injustifiés, alors que la plupart de ses confrères européens sont autorisés, parfois depuis plusieurs années, à exercer la profession de promoteur.
Il reste à espérer que le Conseil National de l’Ordre des Architectes prendra enfin les dispositions qui s’imposent, tout comme il l’a fait récemment pour permettre la titularisation de la société d’architecte, conformément à la loi LARUELLE du 15 février 2006.