Article publié par Jean-Pierre VERGAUWE dans la revue Architrave n° 220 de décembre 2024

Le droit Romain nous a légué le concept du bonus pater familias, icone référentielle du bon comportement du citoyen en société ; de fait on peut imaginer aisément que le pater familias possédait et pratiquait les vertus sociales essentielles.

Sachant diriger sa maisonnée il devait nécessairement se comporter avec sagesse, prudence mais aussi autorité.

Notre droit en a hérité durant des siècles au cours desquels l’homme exerçait son autorité sur le monde qui l’entourait, y compris sa propre épouse.

Notre société a bien entendu évolué en partie en ce qui touche à l’égalité de l’homme et de la femme.

Adieu l’autorité donc et exit, par conséquent, le bonus pater familias.

Cette expression est désormais proscrite non seulement parce qu’en l’utilisant vous passeriez pour un vieux ringard, mais surtout parce que la doctrine, la jurisprudence et récemment le nouveau Code civil ont définitivement remplacé le concept de bonus pater familias par celui de la personne prudente et raisonnable.

Un arrêt de la Cour de Cassation du 11 avril 2018 (P.180024.S) appliquant l’article 411 du Code pénal, décide qu’en l’espèce la réaction du demandeur, qui a reconnu avoir tiré à de nombreuses reprises pour s’assurer de la mort de la victime, est largement disproportionné par rapport aux violences subies.

La Cour de Cassation note que le Juge d’appel avait précisé à cet égard qu’un homme prudent et raisonnable, s’il était le cas échéant porteur d’une arme, « se serait contenté d’en faire usage pour mettre un terme aux violences graves dont il faisait l’objet, sans s’assurer de façon certaine, comme l’a fait (le demandeur) de la mort de l’auteur (de ces violences) » .

La Cour de Cassation pointe donc le manque de modération dans l’usage de l’arme du demandeur, par ailleurs, lui-même victime de violences graves que lui avait fait subir la partie adverse.

On notera également en droit du travail la notion de « diligence raisonnable ».

Le nouveau livre 5 du Code civil consacré aux obligations fait expressément référence à la personne prudente et raisonnable.

L’article 5.72 définit l’obligation de moyens comme étant « celle en vertu de laquelle le débiteur est tenu de fournir tous les soins d’une personne prudente et raisonnable pour atteindre un certain résultat ».

L’article 5.73 consacré à l’exécution de bonne foi et la prohibition de l’abus de droit stipule que « le contrat doit être exécuté de bonne foi. En vertu de l’alinéa 1 : 1° chacune des parties doit, dans l’exécution du contrat, se comporter comme le ferait une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances ».

L’article 5.131 relatif à la gestion d’affaires stipule « responsabilité du gérant d’affaires. Le gérant d’affaires est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne prudente et raisonnable ».

Le nouveau livre 6 « la responsabilité extracontractuelle » du Code civil adopté par la loi du 7 février 2024 contient également une référence à la personne prudente et raisonnable.

L’article 6.6 définit la faute comme suit « la faute consiste dans un manquement à une règle légale imposant ou interdisant un comportement déterminé ou à la norme générale de prudence qui doit être respectée dans les rapports sociaux ».

Le paragraphe 2 précise « la norme générale de prudence impose d’adopter un comportement conforme à celui qu’aurait adopté une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances ».

Il n’existe pas de définition légale du concept de la personne prudente et raisonnable.

Toutefois l’article 6, paragraphe 2, du livre 6 précité fournit certaines indications utiles.

Concernant le comportement de la personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances l’article 6 paragraphe 2 stipule : « A cet effet peuvent notamment être pris en considération :

1°  Les conséquences raisonnablement prévisibles du comportement ;

2°  La proportionnalité entre le risque de survenance du dommage, sa nature et son étendue, et   les efforts et mesures nécessaires pour l’éviter ;

3°   L’état des techniques et des connaissances scientifiques ;

4°   Les règles de l’art et les bonnes pratiques professionnelles ;

5°   Les principes de bonne administration et de bonne organisation ».

Ainsi, le Code civil fournit au Juge, sans exhaustivité, une série de critères qui lui permettront de décider si la personne présumée responsable a agi comme une personne prudente et raisonnable.

Cela étant, comment définir ce concept de la personne prudente et raisonnable.

La prudence ou en Grec phronesis est la première des 4 vertus selon Aristote.

La personne prudente agit avec circonspection ; elle est attentive, elle possède une intelligence pratique, elle évite les erreurs et les dangers. elle prend garde, c’est-à-dire qu’elle agit après réflexion compte-tenu des circonstances auxquelles elle est confrontée. elle fait preuve d’habilité dans les relations avec autrui ; elle gère les relations avec discernement.

La personne prudente fait preuve de prévoyance : elle anticipe les situations fautives, elle prend donc des décisions éclairées.

La personne prudente est capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour elle.

Il s’agit donc d’une personne d’expérience qui est capable de saisir le moment opportun pour agir en fonction de la situation.

La prudence est donc une sagesse de l’action notamment face à l’incertitude.

Ces qualités qui caractérisent la personne prudente pourraient sembler nécessaires et suffisantes.

Toutefois la jurisprudence et le nouveau Code civil complètent cette référence de comportement en ajoutant que la personne prudente doit également être raisonnable.

Qu’est-ce qu’une personne raisonnable ?

Il s’agit d’une personne qui maitrise des impulsions et des passions grâce à la réflexion.

Elle agit selon la raison ; elle est équilibrée et pondérée.

Elle agit avec bon sens et mesure.

Elle est capable de discerner le bien et le mal, le vrai et le faux.

Elle procède donc à l’analyse et à la déduction qui nous permet de comprendre et de discerner la situation à laquelle elle est confrontée.

La personne raisonnable vise le juste milieu et l’harmonie.

Il s’agit donc d’une norme de comportement : une mesure normale dans les circonstances similaires.

La personne raisonnable fait preuve de circonspection et évite les risques excessifs et fait donc preuve de sagesse.

La personne prudente et raisonnable agira toujours avec bonne foi (la référence à la bonne foi est visée à de nombreuses reprises dans le nouveau Code civil, notamment les articles 5.15, 5.16, 5.71, 5.117 et 5.231 du livre 5).

Bien entendu la personne prudente et raisonnable évitera tout abus de droit (cf. notamment les articles 5.33, 5.37 et 5.52 du livre 5 du Code civil).

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